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féministes/ estudos feministas La construction de l´identité féminine à travers quelques proverbes marocains Pr. Houriya BOUARICH
Résumé Notre article s’articulera autour de trois axes : définition de la construction de l’identité, pourquoi le proverbe, et enfin quelques exemples de proverbes et de citations qui illustrent cette construction identitaire chez l’individu et plus particulièrement la femme marocaine. Mots-clés: identité, proverbes, femme marocaine
L’identité est généralement construite à partir des traditions et pratiques tenaces qui imprègnent la vie sociétale de l’individu. Ce qui est de nature à forger sa personnalité et conditionner son comportement .A ce propos, Jean Piaget postule que " la construction des identités, par la transmission des conduites sociales et l’organisation des représentations mentales, est un processus à la fois cognitif, affectif et expressif. Par l’intermédiaire du langage, l’individu assimile et s’approprie les systèmes de règles, de valeurs, de signes qui lui permettent de communiquer avec ses semblables, de s’identifier ou de se différencier, de marquer son appartenance à des groupes ou d’en rejeter d’autres » . La notion d’identité est en effet multiple et complexe car elle est en perpétuelle évolution. Ainsi, a culture, la religion, le milieu à savoir la famille, le système scolaire, les institutions…contribuent à sa construction. Elle est le résultat du milieu ambiant dans lequel vit l’individu avec toutes ses diversités et ses contradictions. Toutes ces particularités influencent le mode de pensée de l’individu et par extension de la société. D’ailleurs au Maroc elle est marquée par un certain nombre de contradictions dues aux interférences entre ce qui est traditions, coutumes et ce qui est religieux. L’exemple le plus édifiant à ce propos est le fait que la faible scolarisation de la jeune fille rurale n’a rien à voir avec la religion ; dans la mesure ou le texte sacré stipule la recherche incessante du savoir « du berceau au cercueil » c’est -à- dire de la naissance jusqu’à la mort, sans faire de distinction entre les deux sexes. -Pourquoi le proverbe ? Le choix des proverbes s’est imposé à nous par leur ancienneté, par leur supposée crédibilité tirée de leur origine commune collective et de leur ancrage dans les valeurs populaires. De ce fait, les proverbes se présentent comme des arguments irréfutables surtout pour certaines couches sociales, en l’occurrence les femmes âgées, symbole de la sagesse dans la société marocaine. Un autre argument milite en faveur de ce choix, c’est que les proverbes se définissent comme un énoncé sémantiquement autonome, c'est-à-dire qu’ ils véhiculent un message achevé à sens métaphorique qui vise chez certaines couches sociales ( populaire, conservateur..) la généralisation abusive afin de garder la femme sous le joug masculin. En outre, ils sont faciles à retenir et à être utilisés comme armes contre les moins démunies matériellement et intellectuellement, en l’occurrence la femme dans la société marocaine. Le ridicule de la situation, et elle est de taille, réside dans le fait que les femmes âgées marocaines sont considérées comme les sages de la famille et ont pour devoir de transmettre les valeurs sociétales et par là leurs connaissances du monde aux plus jeunes du sexe féminin .En effet, ce sont elles les dépositaires du savoir traditionnel exprimé par le truchement de proverbes et dictons en entamant leurs propos par : « nos illustres ancêtres ont dit… » .Cette formule se présente comme un argument d’autorité d’où son acceptation par un grand nombre d’individus de tout âge .La femme perpétue donc les conditions qui la maintiennent soumise et dépendante vis-à-vis de l’homme. Les jeunes femmes d’aujourd’hui ont beau vider ou plutôt transformer à leur profit le contenu sémantique de certains " proverbes négatifs à leurs égard, ils arrivent tout de même à persister vu l’effectif d’analphabètes au Maroc Illustration de la construction d’identité féminine à travers certains proverbes Tout être humain porteur d’une culture déterminée est doté d'une identité qui lui permet de communiquer au quotidien avec ses semblables Abstraction faite de l’appartenance à tel ou tel milieu intellectuel, matériel, géographique…. A travers les proverbes et les dictons différentes identités se démarquent que l’on retrouve dans les exemples qui suivent : a)les proverbes et les dictons qui révèlent un aspect pessimiste de la nature de la femme : [kid nsa qwi/ kid šit?an d??if//] « La ruse des femmes est forte alors que celle du diable est faible. Les femmes sont plus rusées que Satan lui-même ». La substance du contenu de ce genre de proverbe donne à la femme une image négative d’elle-même de sorte qu’elle se sentira comme une copie de satan. En effet, il la présente comme un être sarcastique, pervers, dépravé puisque ses ruses, ses coups bas sont plus maléfiques que ceux du diable. Il la dote de caractéristiques qui peuvent engendrer chez certaines d’entres elles un comportement négatif qui relèverait pour elle de l’inné. [ -nsa sfina men loud wa rakeb fiha mefgoud] « La femme est comparée à une barque en dérive. » La femme est ici présentée comme " sfina (barque...) fragile, pas sûr d’elle, écervelée et celui qui lui fera confiance sera perdu . La référence à la barque connote le danger de la mer comparée à la femme. Culturellement la mer est très présente dans la mémoire collective de notre société pour des raisons surtout géographique .Ces caractéristiques traditionnelles de l’identité féminine, présentées par les proverbes et les citations, sont universelles. Elles opposent paroles/faits, confiance / trahison/ infidélité, rancune / gentillesse, bavardage…. -[∫ar nsa ham, wa hamhuml la yatnsa∫] « La méchanceté de la femme est tenace, et la douleur qui en découle ne s’oublie jamais ». Cette opinion est partagée par la gent masculine quelle que soit son origine. Les exemples suivants corroborent cet état de choses. · La femme est symbole de trahison [Lli taq f nsa, taq fzma:n ] « On ne peut faire confiance aux femmes, comme on ne peut faire confiance à la destinée. » Avoir confiance en une femme, c’est manger avec une sorcière ( massa makan diabete) · La femme est symbole de haine et de rancune [ila ?alfu fik rġga:l ba:t na:?s / wila ?alfu fik nsa ba:t fajq//] « Celui qui fait du mal aux hommes n’a pas à s’en faire, Celui qui fait du mal aux femmes doit s’attendre au pire. » Ce proverbe marocain reprend la citation : Aucune mâchoire de bouledogue n’est tenace que les doigts d’une femme qui hait (J Giraudoux) · La femme et le bavardage Si l’homme a été crée avant la femme, c’était pour lui permettre de placer quelques mots( Jules Renard ) [Tleb ray mratek,u ma dir brayha] « Demande à ta femme son avis, mais ne le prend pas en compte » Toutes ces attributions dégradantes sont l’apanage des femmes et les jeunes garçons ou filles sont sensibilisés à ces expressions communes ce qui engendre chez les jeunes garçons des réflexes et des comportements anti féministes et chez les jeunes filles un comportement de soumission .Déjà au quotidien, la jeune fille marocaine se voit servir après son frère si ce n’est pas elle qui le sert .Le vécu quotidien vient s’ajouter au culturel hérité pour forger l’identité de la future mère. b)Les proverbes qui présentent un fond d’enseignement à caractère moral Ce type de proverbes est destiné à rendre la jeune fille marocaine docile, peu communicative, obéissante, taciturne, sans personnalité. [-tkalem al ?tba ma tkalem al azba//] La pierre aura droit à la parole mais pas la jeune fille [-illi ma yesma? ray kbiru lham tadbiru//] « Celle qui ne prête pas attention aux paroles de ses aînés aura toujours des problèmes ». Ce genre de proverbe utilisé dans le discours moralisateur est imprégné d’implicite et de métaphore. Ils témoignent d’une sorte d’hypocrisie sociale .En fait, Une vraie femme, née pour être mère de famille, sait qu’elle doit être dominée, soumise à son mari, son beau père, sa belle mère et à ses belles sœurs. c) le proverbe comme argument illustrant une vérité incontesté ex : [-zina kateh?em ?ala zinha// « La belle est timide alors que la moche est insolente. » [zin rragl f?aqlu/ u ?qal lmra fzinha//] « La beauté de l’homme est dans son intelligence, et l’intelligence de la femme est dans sa beauté. » Le contenu du proverbe reprend la comparaison conflictuelle entre l’homme et la femme à l’avantage, bien sûr, du premier nommé ! Et ce en faisant l’apologie de la faculté de discernement, d’intelligence chez l’homme, ce qui ferait sa "beauté". Ainsi, le discrédit est jeté implicitement sur la beauté physique comme si elle est l’apanage du sexe féminin qui l’utilise à des fins pas toujours saines, autrement dit comme moyen de séduction, voire de dépravation. La comparaison perpétue ainsi l’image traditionnelle de la femme marocaine, dont on déplore le fait qu’elle n’essaie point de faire un effort afin de développer son esprit ; alors que l’homme (père, tuteur ou mari) s’entête à la maintenir dans l’ignorance. Et même quand on lui permet de faire des études, on s’arrange toujours à lui faire accepter son infériorité par le réemploi fréquent des proverbes par ses concitoyens. Le comble c’est que, comme nous l’avons déjà signalé, elle est en quelque sorte la conservatrice et l’utilisatrice par excellence de ces expressions. En se référent toujours au thème de la beauté, les proverbes suivants : [-lala zina ou zadha nour lhamam] « Celle qu’on prétend belle, le bain maure lui ôte son éclat ( ou ses artifices) » [lmratahrab mn ššib kif nna?ga mn ddib] « La femme fuit les cheveux blancs comme la chèvre fuit le loup » Présentent le type même du mode d’expressions éminemment populaire puisqu’ils font partie des proverbes courts dont la rime leur donne une certaine musicalité provenant du rythme et de la coordination des unités. Ce qui favorise leur implantation dans les mémoires. Par le deuxième proverbe, on essaye de faire comprendre à la femme que la beauté physique est une arme « fatale » et qu’elle devrait se soucier de la préservation de son capital "beauté" en se gardant de laisser apparaître tout signe de vieillesse comme les cheveux blancs. La femme dans ces proverbes se présentent au même temps comme source de désir, sujet de convoitise et objet de caricature. La caricature n’est qu’un subterfuge qui servirait à émousser l’impact de la dérision et du sarcasme dont se sert le discours proverbial à l’encontre de la femme marocaine. La véhémence des propos tenus par ces proverbes stéréotypés est bien évidente et gagnerait à être supprimer afin d’aider la gent féminine à construire une identité seine sans préjugés ni stéréotypes. L’attitude négative antiféminine est on ne peut plus claire. Elle est de nature à présenter la société marocaine comme un milieu hostile aux femmes ! Qu’on s’adresse aux garçons comme aux filles, les proverbes se présentent comme une vérité incontestée : [Alab ? aagágá wal um dagágá] « Le père a le sens du sacrifice. Il est bosseur /la mère est comparée à la poule » Implicitement, ce proverbe connote tous ce qui oppose l’homme à la femme à savoir, grandeur / petitesse, force/ faiblesse, discrétion/ bavardage, responsabilité/ irresponsabilité, la bonne gouvernance/ la dilapidation…La représentation donc homme/femme dans la société marocaine oscille entre ces deux extrêmes. Celles qui n’acceptent pas ces conventions et qui se révoltent contre les normes, établit par cette société masculine, sont marginalisées et taxées de frivolité et d’inconscience, alors qu’elles défendent une cause noble en essayant d’ élever moralement le genre humain. [Xadem waloud , ashsen min hura Rir walud] « Il vaudrait mieux épouser une esclave féconde qu’une femme blanche stérile. » Il cultive chez le jeune garçon l’idée qu’il ne peut jamais
être stérile. En effet, la construction d’une identité à tendance plutôt
féminine ou masculine est de nature à jouer en faveur de l’équilibre du
seul garçon . Le danger, c’est que la jeune fille va découvrir
à travers les proverbes un système de règles et de valeurs
qu’elle va prendre comme vérité dans ses rapports avec son
entourage. Conclusion
D’une façon générale, ces identités féminines véhiculées par ces proverbes
sont marquées par la ruse, la mesquinerie, la dépendance, la passivité,
le souhait de plaire, le besoin de se confier, la soumission, l’agressivité. Références bibliographiques -Anscombre J.C, 2000. « Parole proverbiale et structures métriques ». Langages, n° 139, pp.6-27. -Bouarich H , Zanfoukh. O ,2006 « Les stéréotypes et représentations des femmes veuves / divorcées dans le gharb marocain ». Actes du colloque international sur la stéréotypie. Edition le fenec, casablanca -Boyer H.(2001) : « La compétence ethnosocioculturelle », Montpellier III. F.D.M. n°272m p41-44. -Derône S. , ( 1998). « Représentation de l’autre et stéréotypes ». St Cyr Coetquidan-Galisson R., ( 1987). « Accéder à la culture partagée par l’entremise des mots à charge culturelle partagée », Etude de Linguistique Appliquée, n°67 juillet-septembre -Kleiber G, (2000 ). « Sur le sens des proverbes ». Langue française n°139,pp 28-39 -Michaux , C.( 1999): « Proverbes et structures stéréotypées ». Langue française n°123 septembre. -Porcher, L.( 1986.) : « Pédagogie interculturelle et stéréotypes ». Clé International -Schapira C, 2000 . « Proverbe, proverbialisation et déproverbialisation ». Langages, n°139, p.69- 88.
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