labrys, études féministes/ estudos feministas
julho/dezembro2007- juillet/décembre 2007

Épître d’une femme à un jeune monarque

rita el khayat

 

Sire,

Devant vous s’ouvre un règne. Je vous le souhaite long et heureux car notre nation, le Maroc, est dans le besoin des qualités qui précèdent déjà votre stature dans l’Histoire.

Vous êtes, Sire, dans le souci des pauvres, des femmes, d’une quête du progrès et du modernisme à travers une démarche qui émeut beaucoup votre peuple, la simplicité et la dignité.

Parce que je suis une femme, je m’adresse à Vous et pourrais être une petite fille encore inexprimée, une paysanne qui ne parlera jamais, une ouvrière à peine alphabétisée, une femme battue, une bourgeoise désœuvrée, un « bonne » exploitée, une scientifique débordée, une intellectuelle remplie d’espoir car celui-ci n’est pas le propre des penseurs mais, le moment historique que nous vivons à l’aube de Votre règne, est un soleil du matin qui déchire la nuit d’hier, répétition permanente du Temps dans le Cosme.

Il m’a semblé opportun, maintenant, pour aider les Marocaines, ma mère, ma sœur, ma fille, puisque toute la féminité est pour moi dans cet ordre de la parenté, de Vous adresser cette supplique qui n’est que l’esquisse des problèmes des femmes.

Il sera ardu de résumer ce qui est le point central de la problématique féminine dans notre pays. Il s’agit d’une complexité telle que la segmentation en questions urgentes s’impose.

La pression du monde accéléré dans une dimension vertigineuse exige que nous gravissions rapidement les degrés de la libération, de la dignité et de l’optimum auxquels aspirent aujourd’hui tous les peuples sur une Terre devenue la maison commune de six milliards d’êtres humains.

Vous êtes, Sire, le plus jeune Roi actuel dans le monde et cela est une adéquation magnifique à Votre peuple dont la majorité est représentée par l’enfance et la jeunesse.

Il y a donc Vos sujets du Maroc à venir. Il sera fragile et démuni si une action immédiate ne corrige pas la disparité des statuts et des rôles entre les éléments masculins et féminins de la société.

Ayant par ma pratique de médecin et de psychiatre écouté des milliers de Marocains de tout le Royaume, je peux dire qu’à toute souffrance de femme correspond obligatoirement autour d’elle une souffrance masculine en miroir. Il n’est donc pas question de féminisme abusif mais d’une exubérance de cas et de situations difficiles que vivent les Marocaines. Haut et fort, les Marocains et les Marocaines sont des individus qui avancent dans le concert des nations avec une énergie évidente et stupéfiante. Ils sont bridés par les problèmes qu’ils partagent résolument avec la civilisation arabo-musulmane, un milliard de personnes, avec l’Afrique, les pays de la Méditerranée et le Tiers-Monde dont l’appellation obsolète devrait être remplacée par le Monde scientifiquement retardé.

Votre inscription, Sire, au milieu du tournant irrémédiable de la planétarisation dans laquelle Votre intervention va s’affirmer et qualifier Votre règne, est déjà marquée par la volonté de l’équité et de la lutte contre les fléaux qui ravagent tous les pays, mais sont particulièrement sévères dans les nations émergentes dont fait partie le Maroc.

Ces fléaux sont la corruption, la délinquance économique, le manque de conscience, de travail et d’effort, l’absence de civisme et l’injustice œuvrant dans la répression physique, psychique et intellectuelle des masses, par tous ces types de coercition et de la nullité de la morale dans la politique.

Sire, permettez-moi de faire accéder mes compatriotes et les personnes que cela pourra aider à l’idée que ce sont les Femmes qui tirent nos sociétés vers le bas et désorganisent les progrès que nous avons réalisés depuis l’accession de notre pays à l’Indépendance en 1956. Il y a eu une césure et une rupture entre l’acharnement des Marocaines, alors enfermées dans les maisons, à cautionner la cause nationaliste, l’alphabétisation de leurs filles et la transformation actuelle des mœurs et les nouveaux comportements des femmes, aventureux, possibilistes et corrompus également en ce sens que la notion d’adhésion à une idéologie positive a, malheureusement , disparu chez les Femmes devenues égoïstement ambitieuses, férues des signes extérieurs de richesse matérielle et rétrogrades, cultivant les chaînes qui les ont, immémorialement ligotées .

Tout cela a des explications et des solutions.

Sans oublier les femmes exceptionnelles, (car) elles sont encore pour la majorité inexprimées à ce jour, il faut dénoncer le système des femmes alibis et des femmes analphabètes, archaïsantes, qui gèrent d’une main de fer l’ensemble de leur parentèle et impriment cette mouvance intolérable de la société marocaine axée sur le misérabilisme intellectuel et scientifique, la survalorisation des traditions éculées qui ne peuvent en aucun cas répondre aux défis innombrables du siècle à venir. Ces femmes auxquelles l’éducation des enfants des deux sexes est confiée sont inaptes à transformer les relations des adultes aux enfants, des femmes aux hommes et des hommes entre eux, les codages se faisant inexorablement à l’âge d’enfance enfermant les générations dans l’obscurantisme de celles qui sont coupées de la formation, de l’information et du sens que revêt actuellement la vie humaine.

Sire,

Vos sujets-femmes méritent toute Votre attention, Votre regard et Votre écoute.

Transformant leur condition Vous ferez de Votre peuple un guide et un phare pour la majorité de l’humanité plongée dans le désastre de la pauvreté, de la mendicité, de la mortalité infantile et de la maladie, de la faim et de la terreur des guerres, des génocides et du malheur quotidien.

Les femmes alibis n’auront pas le courage de dénoncer ce qui ne va pas pour flatter les images peut être réelles mais rares et parcellaires de ce qui  a réussi : elles ne veulent pas perdre ou céder leur place aux méritantes et aux plus jeunes. Nous avions besoin de ces alibis à l’époque des non-dits et de notre Etre timoré et frileux. Nous sommes tous devenus à Votre avènement des Personnes au sens philosophique du terme. S’il faut du temps pour l’éprouver, nous ressentons d’ores et déjà que vous ferez assurément partie des Monarques éclairés et des Souverains qui bouleversent le sens et le cours du monde et de l’histoire.

Sire,

Les femmes doivent consentir à marquer une pause dans cette démographie galopante qui use en permanence et érode les progrès accomplis dans le Royaume du Maroc. Elles arguent encore de l’argument de leur ventre pour exister face à un homme, leur époux, qu’elles pensent ainsi maîtriser...

Cette natalité explosive fait des milliers de victimes parmi les femmes qui ne sont pas encore assistées par une couverture totale maternelle et infantile : pour donner la vie, une Marocaine meurt toutes les trois heures.

Une politique sérieuse et débarrassée des préjugés en matière de planification familiale est rigoureusement nécessaire. Immédiatement instaurable. D’autant plus qu’elle visera les femmes illettrées et paysannes.

La couverture sanitaire générale des Femmes par la politique de Planification familiale qui est une spécialisation de la Médecine impulsée par les données socio-démographiques et économiques est concomitante de la Protection Maternelle et Infantile apportant l’aide aux Mères et aux Enfants pendant la période de gestation et les deux premières années de la vie des Enfants. Cette politique médicale préventive, serait un modèle dans les pays économiquement faibles et serait assurée gratuitement pour réaliser des gains colossaux à l’Etat en matière de Santé.

Pour qu’elles travaillent, les Femmes doivent avoir à leur disposition des crèches qui n’existent dans aucun organisme pilote du pays. Poussées de facto à laisser leurs enfants aux domestiques. Ces dernières représentent 60 % des travailleuses non reconnues au Maroc, les Femmes sont enclavées entre les systèmes dépassées de garde des enfants à domicile et le choix d'une carrière ou d'un emploi dont les ménages ont un besoin économique évident au regard du niveau de vie actuel.

Les employées de maison, l’un des plus épineux problèmes de notre société, devront être déclarées et revalorisées dans un statut de personnes professionnellement actives. Ceci scandalisera les Marocains mais ne Vous offusquera nullement dans la mesure où la dignité des personnes est l’une de Vos préoccupations personnelles...

Si l’on considère le Droit au Travail et le Droit par le Travail, il est incontestable que les Femmes sont les travailleurs les plus exploités dans toutes les catégories professionnelles, les moins défendues juridiquement dans les litiges existant du fait de l’exercice d’un métier, d’une activité ou d’une profession rétribués. Tous les emplois doivent être accessibles aux Femmes et aucun emploi n’est à soumettre à un décret pour être accessible aux Marocaines.

Si elles sont déjà pilotes d’avion de ligne, commandant de vaisseau marchand, juges, policiers et chirurgiens, elles pourront être facteur sans aucun risque ou restriction.

Les conventions internationales stipulent que les Femmes ont le droit à une rétribution égalitaire des salaires. En dehors des postes de fonctionnaires tous les abus ont été constatés : notamment les ouvrières dans les villes étaient plus souvent recrutées que les hommes en raison de leur docilité et de leur absence d’exigences et de récriminations parce qu’elles sont peu ou pas syndiquées. Cela n’aide ni l’emploi des hommes ni celui des femmes car elles acceptent très souvent de ne pas être déclarées.

Évaluant la condition générale et large des Femmes, Sire, il est à regretter l’immense dommage causé au Maroc par l’illettrisme féminin. Il a été pourtant exercé des coercitions sur les parents pour l’alphabétisation des filles dans les petites cités, villages, campagnes et montagnes reculées par les fonctionnaires : elles furent cachées et non scolarisées fréquemment. Les mentalités concernant les femmes sont chevillées à l’âme des peuples et seules des solutions drastiques peuvent corriger ces mœurs que l’on n’ose pas bousculer pour ne pas déplaire aux populations.

Une des voies les plus sûres de ces transformations passe par une scolarisation péremptoire des enfants des deux sexes à six ans, obligatoire jusqu’à seize ans, et s’ouvrant, dans les impossibilités d’études prolongées, vers la formation technique obligatoire ou du moins l’apprentissage de tous les métiers, sous le contrôle de l’État.

L’Enseignement homogène et étatique est à préférer aux Etablissements Privés qui pullulent dans notre pays et ces deux vitesses d’éducation et d’instruction renforcent le système des classes et de disparités, le fossé entre la formation des garçons et des filles, le statisme d’une société qui s’est répétée au lieu d’évoluer.

Si l’on pense que 500.000 enfants entrent chaque année au cours préparatoire, 250.000 filles font perdre 250.000 ans de scolarisation à l’État si elles n’entrent qu’à sept ans à l’école et si elles ne sont que 200.000, 50.000 ans seront perdus du fait de petites filles à l’aube de la vie, puisqu’elles demeurent encore infiniment moins scolarisées que les garçons au même âge.

Une lutte renforcée contre l’analphabétisme récupérerait même un faible taux d’illettrées, ce qui serait un gain pour le pays :

Une illettrée ne sait pas lire les factures d’eau et d’électricité, composer un numéro de téléphone, déchiffrer une ordonnance pour son enfant malade, se déplacer et s’orienter...

La majeure partie des associations féminines n’a pas tenu compte des données et des difficultés des Femmes. Elles n’ont jamais renforcé la lutte contre l’illettrisme mais favorisé dans les quartiers l’apprentissage des petits métiers féminins qui ont laissé les jeunes filles dans le servage. Les plus importantes de ces associations devront être refondues et réorganisées, pour avoir cautionné le statut inférieur édicté jusqu’à présent pour les femmes.

Sire,

Votre volonté seule peut transformer cet état de fait, Vous êtes un souverain auquel l’ensemble du pays et de la nation a fait allégeance le 23 juillet 1999 : nous ne saurions reconnaître des fiefs et des chasses gardées respectées par les citoyennes parce qu’elles n’ont pas le choix. Vous êtes le seul Roi du Maroc et tous ceux et celles qui se considèrent comme des roitelets et des sultanes en dehors des Princes et Princesses Royaux doivent imaginer que, seul, Vous êtes le Commandeur des Croyants et le Souverain de notre pays. L’ère des privilèges arrachés est terminée. Les filles du peuple et les femmes ont les mêmes droits que ceux des classes aisées ou très riches.

Au premier rang de ces privilèges le droit à l’Instruction et à la Santé, les mêmes pour toutes.

Je voudrais enfin, Sire, terminer cette épître qui se transforme ici en une prière et une requête que seules Vos qualités humaines et Votre grand discernement me permettent de faire au nom de toutes mes concitoyennes. Elles y pensent, en ont souffert ou sont exposées à en être victimes : il s’agit de leur Statut Personnel. La frilosité avec laquelle la Moudawana a été amendée en septembre 1993, n’a pas octroyé une place plus honorable aux femmes.

Il dépend de Vous seul qu’aucune Marocaine ne subisse plus l’infamie de la répudiation, qu’elle ait le droit légitime et humain de demander le divorce si ses conditions de vie devenaient intolérables ; Vous seul pouvez en tant que Chef Religieux interdire la polygamie. Il a été prouvé en médecine, en psychologie et en sexologie qu’il n’y a aucune possibilité relationnelle et affective qu’un homme, quel qu’il soit, soit équitable véritablement entre plusieurs femmes. Les victimes de ces unions multiples sont les enfants. Psychologiquement, de telles familles à multi-épouses donnent des fratries différentes construites dans la jalousie, la haine et l’émulation mal venue entre demi-frères et demi-sœurs.

Sire,

Il est encore possible de marier une fille de quinze ans par dérogation et l’exercice du droit de Jabr permettant à n’importe quel homme de marier de force une femme est dépassé, ainsi que le principe du tutorat des filles et des femmes pour établir l’acte de mariage.

Les femmes, aujourd’hui, Sire, n’ont plus besoin de tuteurs masculins à la mort de leurs maris. Elles devraient sous Votre égide, pouvoir s’occuper seules de leurs enfants orphelins et décider de leurs études et des dépenses qu’ils occasionnent.

S’il est automatique, par une règle de bon sens, qu’une femme mariée devienne majeure dans le sens de son être social, il serait égalitaire de ne permettre le mariage au jeune homme et à la jeune fille qu’à dix huit ans et peut être de les responsabiliser intégralement dans l’édification du Maroc moderne en ramenant l’âge légal de la majorité civile juridique à dix huit ans.

Pardonnez, Sire, cette exaltante et terrible liberté prise pour m’adresser à Vous. Cette audace n’est puisée que dans l’Histoire Universelle qui a permis aux intellectuels de s’adresser aux plus grands Rois de tous les temps.

Votre père, Sire, citait fréquemment de grands auteurs français. Puisque j’écris en français et en hommage à Hassan II qui a dit que ne parler qu’une langue était encore une forme d’analphabétisme, voici une citation qu’il aurait aimé être une protection pour Vous contre les courtisans et les aléas du monde :

« Notre erreur est extrême,

Dit-il, de nous attendre à d’autres gens que nous.

Il n’est meilleur ami ni parent que soi-même.

Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous ce qu’il faut faire ? Il faut qu’avec notre famille, nous prenions dès demain chacun une faucille :

C’est là notre plus court ; et nous achèverons

Notre moisson quand nous pourrons »

Jean de la Fontaine ,"L’Alouette et ses petits avec le Maître d’un champ."

Pour ma part, Sire, je reste humblement une Marocaine. Passionnellement. Et Votre sujet dans le respect le plus humain et la dignité la plus vraie.

Docteur GHITA (RITA) ELKHAYAT

Chevalier de l’Ordre du Trône

  Septembre 1999

 « Je suis plurilingue, d’abord. Cela me permet de voyager entre les peuples, les civilisations et les cultures ; ainsi qu’à travers une créolisation des cultures qui me semble être un passage obligé pour l’Humanité à venir…».

 

Note biographique

GHITA EL KHAYAT ,Docteur en Médecine, elle est devenue médecin psychiatre et détient deux autres spécialités en médecine ( médecine du travail et d’Ergonomie ) ainsi qu ´un Doctorat d´anthropologie du monde arabe,( Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,(EHESS/Paris) avant de retourner vivre au Maroc où elle est née, à ses premières passions (latin, littérature, philosophie, dessin et peinture) et à Casablanca pour exercer et écrire. Elle est aussi journaliste et l’auteur de nombreux articles et livres sur la condition féminine dans le monde arabo-islamique; elle se consacre aujourd’hui à l’exercice de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, à la critique d’art, à la fiction et à la poésie, tout en enseignant à l’Université de Chieti, en Italie, l’Anthropologie de la Connaissance (Département de Philosophie).Elle a publié à ce jour 28 livres, a écrit dans une vingtaine d’ouvrages collectifs, est l’auteur de plus de cent cinquante articles scientifiques (Médecine, Psychiatrie, psychanalyse, anthropologie, art, réflexion, etc.)

 

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