|

labrys,
études féministes/ estudos feministas
juillet / décembre 2013 -julho / dezembro 2013
Je veux une trêve de vingt-quatre heures durant laquelle il n'y aura
pas de viol
Andrea
Dworkin
Note d'Andrea Dworkin :
Ce discours a été
prononcé à la Midwest Regional Conference de la National Organisation
for Changing Men, au cours de l'automne 1983 à St Paul, dans le Minnesota.
Un des organisateurs m'a aimablement envoyé une cassette et une retranscription
de mon intervention. La revue du mouvement des hommes, M, l'a publié.
J'enseignais à l'époque à Minneapolis. C'était avant que Catharine MacKinnon
et moi ne proposions et développions une stratégie juridique qui traitait
de la pornographie en termes de droits civiques. Dans le public étaient
présentes beaucoup de personnes qui devinrent plus tard des acteur-rice-s
essentiel-le-s dans le combat pour le projet de loi des droits civiques.
Je ne les connaissais pas alors. Il y avait environ 500 hommes et quelques
femmes par-ci par-là. J'ai parlé à partir de notes et j'étais, à vrai
dire, en route vers l'Idaho – un voyage de huit heures aller, huit heures
retour (à cause des turbulences) pour donner une conférence d'une heure
sur l'Art. Décoller le samedi, revenir le dimanche, ne pas pouvoir parler
plus d'une heure à moins de rater le seul avion qui part ce jour-là, courir
de la tribune à la voiture et rouler pendant 2 heures jusqu'à mon avion.
Pourquoi une féministe militante soumise à ce type de pression s'arrêterait
en cours de route vers l'aéroport pour saluer 500 hommes ? En un sens,
c'était un rêve féministe devenu réalité : qu'est-ce que tu dirais à 500
hommes si tu le pouvais ? Voici ce que j'ai dit, comment j'ai saisi ma
chance. Les hommes ont réagi avec un amour et un soutien considérables,
et aussi avec une animosité considérable. Les deux. Je me suis dépêchée
pour attraper mon avion, la première étape pour me rendre dans l'Idaho.
Seul un homme sur 500 m'a menacée physiquement. Il a été stoppé par une
garde du corps (et amie) qui m'accompagnait.
J'ai beaucoup réfléchi
à la façon dont une féministe, comme moi, s'adresserait à un public principalement
composé d'hommes militants, qui se disent antisexistes. Et j'ai beaucoup
réfléchi à si oui ou non, il y aurait une différence qualitative dans
le type de discours que je vous tiendrais. Je me suis alors retrouvée
bien incapable de faire semblant de croire en l'existence d'une telle
différence. J'ai observé le mouvement des hommes pendant plusieurs années.
Je suis proche de certains hommes qui y participent. Je ne peux pas venir
ici en tant qu'amie même si je le voudrais peut-être vraiment. Ce que
je voudrais faire, c'est crier. Et dans ce cri, il y aurait les cris des
femmes violées, et les pleurs des femmes battues. Et bien pire encore:
au centre de ce cri, il y aurait le son assourdissant du silence des femmes,
ce silence dans lequel nous sommes nées parce que nous sommes des femmes
et dans lequel la plupart d'entre nous meurent.
Et s'il devait y avoir une requête, une question ou une
interpellation humaine dans ce cri, ce serait ceci : pourquoi êtes-vous
si lents ? Pourquoi êtes-vous si lents à comprendre les choses les plus
élémentaires ? Pas les choses idéologiques compliquées ; celles-là,
vous les comprenez. Les choses simples. Les banalités comme celles-là
: les femmes sont tout aussi humaines que vous, en degré et en qualité.
Et aussi : que nous n'avons
pas le temps. Nous les femmes. Nous n'avons pas l'éternité devant nous.
Certaines d'entre nous n'ont pas une semaine de plus ou un jour de plus
à perdre pendant que vous discutez de ce qui pourra bien vous permettre
de sortir dans la rue et de faire quelque chose. Nous sommes tout près
de la mort. Toutes les femmes le sont. Et nous sommes tout près du viol
et nous sommes tout près des coups. Et nous sommes dans un système d'humiliation
duquel il n'y a pour nous aucune échappatoire. Nous utilisons les statistiques
non pour essayer de quantifier les blessures, mais pour simplement convaincre
le monde qu'elles existent bel et bien. Ces statistiques ne sont pas des
abstractions. C'est facile de dire « Ah, les statistiques, quelqu'un
les tourne d'une façon et quelqu'un d'autre les tourne d'une autre façon. »
C'est vrai. Mais j'entends le récit des viols les uns après les autres,
après les autres, après les autres, après les autres, ce qui est aussi
la manière dont ils arrivent. Ces statistiques ne sont pas abstraites
pour moi. Toutes les trois minutes une femme est violée. Toutes les dix-huit
secondes une femme est battue par son conjoint. Il n'y a rien d'abstrait
dans tout cela. Ça se passe maintenant au moment même où je vous parle.
Cela se passe pour une simple raison. Rien de complexe
ou de difficile à comprendre : les hommes le font, en raison du type de
pouvoir que les hommes ont sur les femmes. Ce pouvoir est réel, concret,
exercé à partir d'un corps sur un autre corps, exercé par quelqu'un qui
considère avoir le droit de l'exercer, de l'exercer en public et de l'exercer
en privé. C'est le résumé et l'essentiel de l'oppression des femmes.
Ça ne se déroule pas
à 8000 kilomètres ou à 5000 kilomètres d'ici. C'est fait ici et c'est
fait maintenant et c'est fait par les gens dans cette salle aussi bien
que par d'autres contemporains : nos amis, nos voisins, des gens que l'on
connaît. Les femmes n'ont pas besoin d'aller à l'école pour savoir ce
qu'est le pouvoir. Nous avons juste à être des femmes, à marcher dans
la rue ou à essayer de finir le ménage après avoir donné notre corps en
mariage et n'avoir plus aucun droit sur lui.
Le pouvoir exercé par les hommes dans la vie quotidienne
est un pouvoir qui est institutionnalisé. Il est protégé par la loi. Il
est protégé par la religion et les pratiques religieuses. Il est protégé
par les universités, qui sont des bastions de la domination masculine.
Il est protégé par une police, et par ceux que Shelley appelait « les
législateurs non reconnus du monde » : les poètes, les artistes.
Contre ce pouvoir, nous avons le silence.
C'est une chose extraordinaire que d'essayer de comprendre
et de confronter pourquoi les hommes croient – et les hommes le croient
– qu'ils ont le droit de violer. Les hommes peuvent ne pas le croire
quand on le leur demande. Que tous ceux qui croient que vous avez le droit
de violer lèvent la main. Peu de mains vont se lever. C'est dans le quotidien
que les hommes croient qu'ils ont le droit à la contrainte sexuelle, qu'ils
n'appellent pas viol. Et c'est une chose extraordinaire d'essayer de comprendre
que les hommes croient réellement qu'ils ont le droit de frapper et de
blesser. Et c'est une chose tout aussi extraordinaire que d'essayer de
comprendre que les hommes croient réellement qu'ils ont le droit d'acheter
le corps d'une femme à des fins sexuelles : que c'est un droit. Et c'est
totalement ahurissant d'essayer de comprendre que les hommes considèrent
comme un droit le fait qu'une industrie de sept milliards de dollars par
an, le système prostitutionnel, les approvisionne en vagins.
C'est la manière dont
le pouvoir des hommes est manifeste dans la vie réelle. C'est ce que la
théorie de la domination masculine dit. Elle dit que vous pouvez violer.
Elle dit que vous pouvez frapper. Elle dit que vous pouvez blesser. Elle
dit que vous pouvez acheter et vendre des femmes. Elle dit qu'il y a une
classe de personnes disponibles pour vous fournir ce dont vous avez besoin.
Vous restez plus riches qu'elles, de sorte qu'elles doivent vous vendre
du sexe. Pas simplement aux coins des rues, mais au travail. C'est un
autre droit auquel vous pouvez prétendre : l'accès sexuel à n'importe
quelle femme dans votre entourage, quand vous le voulez.
Aujourd'hui, le mouvement
des hommes laisse entendre que les hommes ne veulent pas le type de pouvoir
que je viens de décrire. J'ai effectivement entendu des déclarations explicites
à ce sujet. Et pourtant, vous trouvez toujours une bonne raison de ne
rien faire contre ce pouvoir que vous avez.
Se cacher derrière la
culpabilité, c'est ma préférée. J'adore cette raison-là. Oh c'est horrible,
oui, je suis si désolée. Vous avez le temps de vous sentir coupable. Nous
n'avons pas le temps que vous vous sentiez coupables. Votre culpabilité
est une forme d'acquiescement à ce qui continue d'arriver. Votre culpabilité
aide à maintenir les choses telles qu'elles sont.
J'ai beaucoup entendu
parler ces dernières années de la souffrance des hommes sous le régime
sexiste. Bien sûr, j'ai beaucoup entendu parler de la souffrance des hommes
toute ma vie. j'ai lu Hamlet, bien sûr ; j'ai lu Le Roi
Lear. Je suis une femme cultivée. Je sais que les hommes souffrent.
Mais il y a un nouveau truc. Vous souffririez, cette fois, d’être informés
de la souffrance d’autres personnes. En effet ce serait nouveau.
Mais en gros votre culpabilité, votre souffrance, se réduit
à : bah, nous nous sentons vraiment très mal.Tout contribue à ce
malaise si profond des hommes: ce que vous faites, ce que vous ne faites
pas, ce que vous voulez faire, ce que vous ne voulez pas vouloir faire
mais que vous allez faire quand même. Je pense que votre angoisse se résume
à : bah, nous nous sentons vraiment très mal. Et je suis désolée que vous
vous sentiez si mal, si inutilement et bêtement mal, parce que d'une certaine
manière, c'est cela votre tragédie. Et je ne dis pas que c'est parce que
vous ne pouvez pas pleurer, et je ne dis pas que c'est parce qu'il n'y
a pas de réelle intimité dans votre vie. Et je ne dis pas cela .parce
que l'armure avec laquelle vous vivez en tant qu'hommes est abrutissante
: et je ne doute pas qu'il en soit ainsi. Mais je ne dis rien de cela.
Je veux dire qu'il y
a une relation entre la manière dont les femmes sont violées et votre
socialisation à violer et la machine de guerre qui vous broie et qui vous
recrache : la machine de guerre à travers laquelle vous passez, tout comme
cette femme passait dans le hachoir à viande de Larry Flynt sur la couverture
du magazine Hustler. Vous feriez sacrément mieux de croire que
vous êtes impliqués dans cette tragédie, que c'est aussi la vôtre. Parce
que vous devenez des enfants soldats à partir du jour où vous êtes nés,
et tout ce que vous apprenez sur comment mettre de côté l'humanité des
femmes vient s´ajouter au militarisme du pays dans lequel vous vivez
et du monde dans lequel vous vivez.Cela s'intègre aussi au système
économique que vous prétendez souvent combattre.
Et le problème, c'est
que vous croyez que c'est ailleurs : et ce n'est pas ailleurs. C'est en
vous. Les macs et les faiseurs de guerre parlent pour vous. Le viol et
la guerre ne sont pas si différents. Et ce que les macs et les faiseurs
de guerre font, c'est vous rendre si fiers d'être des hommes qui peuvent
l'avoir dure et la mettre profond. Et ils prennent cette sexualité acculturée,
ils vous mettent dans de petits uniformes et ils vous envoient pour tuer
et mourir. A présent, je ne vais pas vous laisser entendre que je pense
que cela est plus important que ce que vous faites aux femmes, parce que
je ne le pense pas.
Mais je pense que si
vous voulez regarder ce que ce système vous fait, alors voici où vous
devriez commencer à regarder : les politiques sexuelles de l'agression
tant que les politiques sexuelles du militarisme. Je pense que les
hommes ont très peur des autres hommes. C'est quelque chose que vous essayez
quelquefois d'aborder dans vos petits groupes, comme si changer vos attitudes
les uns envers les autres pouvait faire disparaître cette peur.
Mais tant que votre sexualité
aura quelque chose à voir avec l'agression et que votre sens du droit
à l'humanité aura à voir avec le fait d'être supérieur à d'autres personnes
– et il y a tellement de mépris et d'hostilité dans vos attitudes à l'égard
des femmes et des enfants comment ne pourriez-vous pas avoir peur les
uns des autres ? Je crois que vous saisissez bien, sans vouloir l'assumer
politiquement, que les hommes sont très dangereux : parce que vous l'êtes.
La solution du mouvement
des hommes pour rendre les hommes moins dangereux en changeant la façon
de vous toucher et de vous percevoir les uns les autres n'est pas une
solution. C'est une récréation.
Ce congrès traite aussi
de l'homophobie. L'homophobie est très importante : c'est très important
dans la façon dont fonctionne la domination masculine. A mon avis, la
répression de l'homosexualité masculine existe dans le but de protéger
le pouvoir masculin. Fais-le à elle. C'est-à-dire : tant que les
hommes violent, il est important que les hommes soient orientés à violer
des femmes. Tant que la sexualité sera remplie d'hostilité et exprimera
à la fois le pouvoir sur et le mépris pour l'autre personne, il est très
important pour les hommes de ne pas être déclassés, stigmatisés comme
féminins, utilisés de la même manière.
Le pouvoir des hommes en tant que classe repose sur le
fait de maintenir les hommes sexuellement inviolés et les femmes sexuellement
utilisées par les hommes. L'homophobie aide à maintenir ce pouvoir de
classe : elle vous aide également en tant qu'individus à vous protéger
les uns des autres, à vous protéger du viol. Si vous voulez faire quelque
chose concernant l'homophobie, vous allez devoir faire quelque chose concernant
le fait que les hommes violent, et que la contrainte sexuelle n'est pas
accessoire dans la sexualité masculine dans sa pratique, elle en est le
paradigme, le fondement
Certains d'entre vous
sont très préoccupés par la montée de la Droite en Amérique, comme si
c'était quelque chose qui était séparé des enjeux du féminisme ou du mouvement
des hommes. Il y a cette caricature que j'ai vue et qui l'illustrait joliment.
C'était un grand dessin de Ronald Reagan représenté en cow-boy avec un
gros chapeau et un flingue. Et ça disait : « Un flingue dans chaque
étui, une femme enceinte dans chaque maison. Faites de l'Amérique un homme
à nouveau. » Voilà la politique de la Droite.
Si vous êtes effrayés
par l'ascension du fascisme dans ce pays – et vous seriez bien stupides
de ne pas l'être en ce moment – alors vous feriez mieux de comprendre
que la racine du problème a quelque chose à voir avec la domination masculine
et avec le contrôle des femmes, l'accès sexuel aux femmes, les femmes
comme esclaves pour la reproduction, la propriété privée des femmes. C'est
le programme de la Droite. C'est le code moral dont ils parlent. C'est
ce qu'ils veulent dire. C'est ce qu'ils veulent. Et la seule résistance
à leur opposer, et qui compte, est une opposition à l'appropriation des
femmes par les hommes.
Comment faire quelque
chose à propos de tout ça ? Le mouvement des hommes semble rester bloqué
sur deux points. Le premier est que les hommes ne se sentent pas très
bien par rapport à eux-mêmes. Comment le pourriez-vous ? Le second
est que les hommes viennent me voir, moi ou d'autres féministes, et disent,
"Ce que vous dites à propos des hommes n'est pas vrai. Ce n'est pas
vrai me concernant. Je ne ressens pas les choses de cette manière. Je
suis opposé à tout ça."
Et je dis : ne me le
dites pas à moi. Dites-le aux pornographes. Dites-le aux macs. Dites-le
aux faiseurs de guerre. Dites-le à ceux qui font l'apologie du viol et
à ceux qui célèbrent le viol et aux idéologues pro-viol. Dites-le aux
romanciers qui pensent que le viol est merveilleux..Dites-le aux pornocrates
comme Larry Flynt et Hugh Hefner Il est inutile de me le dire. Je ne suis
qu'une femme. Il n'y a rien que je puisse faire à ce propos. Ces hommes
se permettent de parler pour vous. Ils sont dans l'espace public en train
de dire qu'ils vous représentent. Si ce n'est pas le cas, alors vous feriez
bien mieux de le leur faire savoir.
Ensuite il y a le monde
privé de la misogynie : ce que vous savez les uns des autres ; ce que
vous dites dans la vie privée ; l'exploitation que vous voyez dans la
sphère privée ; les relations appelées amour, basées sur l'exploitation.
Il ne suffit pas d'aller à la rencontre de la féministe de passage et
de lui dire : « bah, je déteste ça. »
Dites-le à vos amis qui
le font. Et il y a des rues dehors dans lesquelles vous pouvez dire ces
choses haut et fort, pour peser sur les institutions actuelles qui maintiennent
ces violences. Vous n'aimez pas la pornographie ? Je voudrais pouvoir
croire que c'est vrai. Je le croirai quand je vous verrai dans la rue.
Je le croirai quand je verrai une opposition politique organisée. Je le
croirai quand les macs se retireront des affaires parce qu'il n'y aura
plus de consommateurs.
Vous voulez mobiliser
les hommes. Vous n'avez pas à trouver les sujets sur lesquels vous mobiliser.
Ces sujets font partie de la trame de votre vie quotidienne.
Je veux vous parler d'égalité,
de ce qu'est l'égalité et de ce qu’elle veut dire. Ce n'est pas juste
une idée. Ce n'est pas un mot fade qui finit par ne plus vouloir rien
dire. Cela n'a rien à voir avec toutes les déclarations du type : « Oh,
cela arrive aussi aux hommes. » Je pointe une violence et j'entends
: « Oh, cela arrive aussi aux hommes. » Ce n'est pas l'égalité
pour laquelle nous nous battons. Nous pourrions changer notre stratégie
et dire : « Eh bien, OK, nous voulons l'égalité : nous allons
planter quelque chose dans le cul d'un homme toutes les trois minutes. »
Vous n'avez jamais entendu
cela de la part du mouvement féministe, parce que pour nous, l'égalité
garde une dignité et une importance réelles. Ce n'est pas un mot stupide
qui peut être tordu dans tous les sens et rendu ridicule comme si il n'avait
pas de signification réelle.
Comme façon de pratiquer
l'égalité, une vague idée d'abandonner le pouvoir est inutile. Quelques
hommes ont des pensées confuses à propos d'un avenir où les hommes vont
abandonner le pouvoir, ou un homme en particulier va abandonner certains
de ses privilèges. L'égalité, ce n'est pas ça non
plus
L'égalité est une pratique.
C'est une action. C'est une manière de vivre. C'est une pratique sociale.
C'est une pratique économique. C'est une pratique sexuelle. Elle ne peut
pas exister dans le vide. Vous ne pouvez pas l'avoir à la maison si, quand
la famille sort du foyer, il est dans un monde où sa suprématie
est basée sur l'existence de sa bite et elle est dans un monde
d'humiliation et d’avilissement parce qu'elle est perçue comme étant inférieure
et parce que sa sexualité est une malédiction.
Ce n'est pas pour dire
que la tentative de pratiquer l'égalité chez soi ne compte pas. Ça compte,
mais ce n'est pas suffisant. Si vous aimez l'égalité, si vous croyez en
elle, si c'est la manière dont vous voulez vivre – pas juste un homme
et une femme ensemble dans un foyer mais aussi un homme et un homme ensemble
dans un foyer et une femme et une femme ensemble dans un foyer – si l'égalité
est ce dont vous avez envie et que vous y tenez, alors vous devez vous
battre pour des institutions qui en feront une réalité sociale
Il n'est pas juste question
de votre attitude. Il ne suffit pas de penser l'égalité pour la faire
exister. Vous ne pouvez pas essayer parfois lorsque ça vous arrange et
la mettre de côté le reste du temps. L'égalité est une discipline. C'est
une manière de vivre. C'est une nécessité politique de créer l'égalité
dans les institutions. Et autre chose à propos de l'égalité : elle ne
peut pas coexister avec le viol. Elle ne le peut pas. Et elle ne peut
pas coexister avec la pornographie ou avec la prostitution ou avec la
dégradation économique des femmes à tous niveaux, de quelque manière que
ce soit. Elle ne peut pas leur coexister, parce que l'infériorité
des femmes y est implicite.
Je veux voir l'actuel
mouvement des hommes 'engager réellement à mettre un terme au viol parce
que c'est le seul engagement significatif pour l'égalité. C'est surprenant
que dans toutes les sphères du féminisme et de l'antisexisme, nous ne
parlions jamais sérieusement de comment mettre un terme au viol. Y mettre
un terme. L'arrêter. Pas un seul de plus. Pas un viol de plus. Au fond
de nous-mêmes, ne nous accrochons-nous pas à un ultime reliquat de biologie
pour tenter d'expliquer son caractère inévitable ? Pensons-nous que le
viol continuera toujours à exister quoi que nous fassions ? Toutes nos
actions politiques sont des mensonges si nous ne prenons pas un engagement
à mettre un terme à la pratique du viol. Cet engagement doit être politique.
Il doit être sérieux. Il doit être méthodique. Il doit être public. Il
ne peut pas être complaisant.
Les choses que le mouvement
des hommes a voulues sont des choses qui ont de la valeur. Ça a de la
valeur, l'intimité. Ça a de la valeur, la tendresse. Ça a de la valeur,
la coopération. Ça a de la valeur, une vie émotionnelle sincère. Mais
vous ne pouvez pas les vivre dans un monde où existe le viol. Mettre un
terme à l'homophobie, ça a de la valeur. Mais vous ne pouvez pas le faire
dans un monde où existe le viol. Le viol fait obstacle à chacune de ces
choses auxquelles vous dites aspirer. Et par viol, vous savez ce que je
veux dire. Un juge n'a pas besoin d'entrer dans cette salle et de dire
que selon telles ou telles lois, voici les éléments de preuve. Nous parlons
de toutes les formes de contrainte sexuelle, y compris la contrainte par
la pauvreté.
Il ne peut pas exister
d'égalité ou de tendresse ou d'intimité tant qu'il y a le viol, car le
viol signifie la terreur. Cela veut dire qu'une partie de la population
vit dans un état de terreur et qu'elle feint, pour vous contenter et vous
apaiser, que ce n'est pas le cas. De sorte qu'il n'y a pas d'honnêteté.
Comment peut-il y en avoir ? Pouvez-vous imaginer ce que c'est que de
vivre en tant que femme jour après jour avec la menace du viol ? Ou ce
que c'est que de vivre avec cette réalité ? Je veux vous voir utiliser
ces corps légendaires et cette force légendaire et ce courage légendaire
et cette tendresse que vous dites avoir : je veux vous voir "...vous
voir les retourner à l'avantage des femmes – et cela signifie contre
les violeurs, contre les macs et contre les pornographes. Il s’agit de
bien plus qu'un simple renoncement personnel. Il s’agit d'une attaque
méthodique, politique, active et publique. Et il y a eu très peu de ça.
Je suis venue ici aujourd'hui
parce que je ne crois pas que le viol soit inévitable ou naturel. Si je
le croyais, je n'aurais aucune raison d'être là. Si je le croyais, ma
pratique politique serait différente de ce qu'elle est. Vous ne vous êtes
jamais demandé pourquoi nous ne sommes pas en conflit armé avec vous ?
Ce n'est pas parce qu'il y a une pénurie de couteaux de cuisine dans ce
pays. C'est parce que nous croyons en votre humanité, malgré toutes les
preuves du contraire.
Nous ne voulons pas du
travail qui consiste à vous aider à croire en votre humanité. Nous ne
pouvons plus le faire. Nous avons toujours essayé. Nous avons été systématiquement
récompensées par de l'exploitation et des insultes. Ce travail, vous allez
devoir le faire vous-même à partir de maintenant, et vous le savez.
La honte des hommes face
aux femmes est, je pense, une réponse appropriée, à la fois pour ce que
les hommes font et pour ce qu'ils ne font pas. Je pense que vous devriez
être honteux. Mais ce que vous faites de cette honte, c'est de vous en
servir comme excuse pour continuer à faire ce qui vous arrange, et continuer
à ne rien faire d'autre, et vous devez arrêter. Vous devez arrêter. Votre
psychologie ne compte pas. Combien vous souffrez importe en définitive
aussi peu que combien nous souffrons. Si nous nous étions juste assises
pour se dire à quel point le viol nous fait du mal, pensez-vous qu'il
y aurait eu un seul des changements que vous avez vus dans ce pays ces
quinze dernières années ? Il n'y en aurait pas eu.
C'est vrai que nous devons
parler les un-es aux autres. Comment après tout aurions-nous pu découvrir
que nous n’étions pas la seule femme au monde à ne pas avoir « couru
après » le viol et les coups. On ne pouvait pas le lire dans les
journaux, pas à ce moment-là. On ne pouvait même pas trouver un livre
à ce sujet. Mais vous savez ces choses et maintenant la question est qu'allez-vous
faire ; de plus, votre honte et votre culpabilité sont à côté de la plaque.
Elles ne nous importent pas du tout, de quelque manière que ce soit. Elles
ne sont bonnes à rien. Elles ne font rien.
En tant que féministe,
je porte personnellement en moi le viol de toutes les femmes à qui j'ai
parlé au cours des dix dernières années. En tant que femme, je porte en
moi mon propre viol. Est-ce que vous vous rappelez des images des villes
d'Europe pendant la peste, quand les charrettes traversaient les rues
et que des gens ne faisaient que ramasser les cadavres et les entasser
dedans ? Et bien, voilà ce à quoi ressemble notre savoir sur le viol.
Des piles et des piles et des piles de corps qui ont des vies entières
et des noms humains et des visages humains.
Je parle pour de nombreuses
féministes, pas seulement pour moi, quand je vous dis que je suis fatiguée
de ce que je sais et qu’aucun mot ne peut exprimer la profondeur de ma
tristesse concernant ce qui a déjà été fait aux femmes jusqu'à cet instant
même, à 14 heures 24 aujourd'hui, ici à cet endroit.
Et je veux un jour de
répit, un jour de pause, un jour au cours duquel de nouveaux corps ne
s’amoncelleront pas, un jour au cours duquel aucune nouvelle agonie ne
s'ajoutera aux anciennes, et je vous demande de me le donner. Et comment
pourrais-je vous en demander moins – c'est si peu. Et comment pourriez-vous
m'en offrir moins – c'est si peu. Même dans les guerres, il y a des jours
de trêve. Allez-y et organisez une trêve. Faites obstacle à votre camp
pour un jour. Je veux une trêve de vingt-quatre heures durant laquelle
il n'y aura pas de viol.
Je vous mets au défi
d'essayer. J'exige que vous essayiez. Je suis prête à vous supplier d'essayer.
Que pourriez-vous bien faire d'autre ici ? Qu'est-ce que votre mouvement
pourrait bien signifier d'autre ? Qu'est-ce qui pourrait avoir autant
d'importance ?
Et ce jour-là, ce jour
de trêve, ce jour où pas une femme ne sera violée, nous commencerons la
pratique réelle de l'égalité, parce que nous ne pouvons pas la commencer
avant ce jour-là. Avant ce jour-là, elle ne veut rien dire parce qu'elle
n'est rien ; elle n’est pas réelle ; elle n’est pas vraie. Mais
ce jour-là, elle deviendra réelle. Et alors, plutôt que le viol, pour
la première fois dans nos vies – tant les hommes que les femmes – nous
commencerons à faire l’expérience de la liberté.
Si vous avez une conception
de la liberté qui inclut l’existence du viol, vous avez tort. Vous ne
pouvez pas changer ce que vous dites vouloir changer. En ce qui me concerne,
je veux faire l’expérience d’un seul jour de réelle liberté avant de mourir.
Je vous laisse ici travailler à cela pour moi et pour toutes les femmes
que vous dites aimer.
Le titre original du texte est :" I Want
a Twenty-Four-Hour Truce During Which There Is No Rape ",
et il est tiré de l'ouvrage : Letters from a War Zone: Writings
(1988).
Traduction : Caroline Le Hénaff,
Choralyne Dumesnil, Martin Dufresne, Pierre-Guillaume Prigent, Simon Chollet,
Yeun l-y.
Nous remercions à l´editeur de l´ouvrage
la permission de publier ce texte traduit de l´ogininal.
link
obras on line / oeuvres en ligne
http://radfem.org/category/andrea-dworkin/

labrys,
études féministes/ estudos feministas
juillet / décembre 2013 -julho / dezembro 2013
|
|