labrys, études féministes/ estudos feministas
julho/ 2016- junho 2017 /juillet 2016-juin 2017

Les nouvelles technologies reproductives dans le débat féministe.

Luisella Battaglia

Résumé

Si l’on voulait identifier une contribution de la culture féministe au débat bioéthique, on pourrait reconnaître - malgré la grande diversité des compétences et la variété des références théoriques - au moins deux points d’intérêt majeurs : d'une part, une attention constante à la spécificité des sujets qui y sont impliqués ; de l'autre, une réflexion critique sur la science et la technologie et leur impact sur la vie sociale, axée sur la notion de limite. Cela a conduit à une concentration sur la réalité différente du sujet-femme, sur ses droits et ses besoins devant les défis de la biotechnologie. La pensée de la différence a eu des conséquences importantes dans le domaine de la bioéthique puisqu´elle a incité la recherche à examiner de plus près la spécificité féminine et à ouvrir des enquêtes liées au terrain historico-social d'où naissent les questions de la vie et de la mort.

Mot-clés

Biotechnologies ; maternité ; féminisme ; bioéthique

 

Quand on parle des nouvelles technologies reproductives on se réfère à une variété d'interventions allant de la contraception au diagnostic prénatal, de la fécondation in vitro jusqu'à l'utérus artificiel. Techniques, par conséquent, très différentes et qui posent des problèmes - moraux, juridiques, sociaux - de complexité variable, mais unies par un important élément : la manipulation du vivant, l'intervention humaine sur le processus de reproduction, un processus qui échappe pour la première fois à la nature. Le défi à l'ordre naturel élargit la portée de notre liberté et, par conséquent, celle de nos responsabilités. L'ambivalence du progrès biomédical met en jeu nos convictions les plus profondes ; les interprétations oscillent entre l'espoir et la peur : l'espoir d’une libération des charges lourdes de la souffrance, la peur d’une violence faite à notre humanité. Sans surprise, la demande d'éthique aujourd'hui est exprimée en particulier dans le domaine des technologies de pointe appliquées aux stades du commencement et de la fin de la vie.

Tout progrès scientifique rend plus difficile la réflexion éthique. Les possibilités offertes par les biotechnologies posent aujourd'hui à la conscience des questions sans précédent et parmi les plus difficiles à résoudre. Nous sommes sur le seuil d'une des révolutions technologiques les plus importantes de l'histoire humaine, la « révolution biologique », où une personne peut devenir le sujet non seulement des stratégies génétiques traditionnelles, mais aussi des possibles stratégies futures (génie génétique). Les nouvelles technologies de reproduction ont volé la maternité et la paternité au destin, ouvrant la possibilité de décisions libres où il n'y avait auparavant que la logique de la nature et permettant surtout des choix qui étaient jusque-là inimaginables.

Dans la pensée féministe le problème a été ressenti avec une intensité particulière. La reproduction technologique – on s’est demandé - est un moyen de libération ou un instrument d'oppression pour les femmes?  Elle se traduit, en d'autres termes, dans une plus grande liberté de choix ou dans une forme de contrôle insidieux de la procréation ?

Si l’on examine les réponses mûries dans une espace de trente ans, on peut remarquer le passage   d'une considération largement positive, parfois pleine d'attentes utopiques, à une évaluation très critique qui a conduit souvent à un rejet radical. Comment expliquer ce changement?  À mon avis, il a été le résultat d'un revirement d'opinion envers, à la fois, la maternité et la science.

Dans le féminisme des années soixante-dix, à la suite de la leçon de Simone de Beauvoir (1949) - qui dévalue la reproduction comme une fonction purement naturelle - la maternité est considérée comme un lourd fardeau, un destin biologique dont la femme devrait s’émanciper. Dans les nouvelles technologies (en particulier dans l'utérus artificiel) on voit la possibilité d'un rachat de la «tyrannie de la reproduction." Shulamite Firestone (1979) énonce la thèse selon laquelle le développement des techniques de reproduction aurait une valeur libératrice pour les femmes qui, biologiquement distinctes des mâles, sont culturellement distinctes des humaines. Le grand espoir est que la science et la technologie soient en mesure de changer la nature qui a produit l'inégalité fondamentale : la moitié de l'espèce humaine est destinée à donner naissance et à élever des enfants afin que l'autre moitié puisse se consacrer librement à la culture et aux affaires du monde. Il s’agit donc d'établir un équilibre artificiel à la place de l’équilibre naturel considéré injuste pour atteindre l'objectif originel de la science empirique : la maîtrise complète sur la nature. Dominer la nature - de ce point de vue – c’est réaliser la justice. Il faut libérer l'humanité de la tyrannie de la biologie à travers un grand saut révolutionnaire pour diriger notre propre évolution. Pour la première fois dans l'histoire, la technologie crée les véritables conditions pour renverser les conditions naturelles oppressives, ainsi que leurs bastions culturels. Le but ultime de la révolution féministe est une société où est éliminée toute distinction entre les rôles sexuels, ainsi que le but ultime de la révolution socialiste est une société sans classes. Par conséquent, il s’agit d'attaquer l'unité sociale qui est organisée autour de la reproduction biologique et l'assujettissement des femmes. Firestone a la conscience d'être devant un problème sans précédent : la transformation qualitative de la relation fondamentale de notre espèce avec la reproduction. La procréation artificielle exige, partant, une nouvelle culture fondée sur une redéfinition radicale des relations humaines et des rapports de pouvoir entre les sexes.

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Si pour la féministe américaine et, en général, pour le féminisme radical, la manipulation de la nature était conçue comme une émancipation humaine, murit progressivement dans les années 1980 une seconde vague du féminisme qui voit dans le développement de la science et de la technologie la cause principale de l'asservissement de l'homme par l'homme et les institutions. Dans ce cadre, les thèses de Firestone sont rejetées comme « espoirs utopiques» et «naïvetés théoriques ».

 Carol Gilligan (1982) reflète sur la «pensée maternelle», en examinant, dans le contexte de la psychologie du développement moral, les compétences et les attitudes que la maternité aurait développé chez les femmes. La sensibilité aux besoins du prochain, le souci des autres, la capacité empathique inciteraient les femmes à élaborer une éthique du care, fonction de la biologie et de la destinée historique féminine. De là, une réévaluation du rôle et de la signification de la maternité, considérée comme une valeur primordiale pour vaincre la culture patriarcale et une source potentielle de pouvoir pour les femmes. A’ son tour Adrienne Rich (1995) introduit une distinction entre la maternité comme ‘institution’, contrôlée par la société patriarcale et, donc, source d'oppression, et la maternité comme ‘expérience’ originale, force unificatrice du mouvement féministe. Surgit le concept de «conscience reproductive», ( Mary O’Brien,1981) qui repose sur le sentiment et l'expérience directe de la participation des femmes au processus de «donner la vie», un processus dont les hommes sont exclus. La conscience reproductive, qui unit et rassemble toutes les femmes, mères ou non, est basée sur la reconnaissance de l'essentialité du rôle des femmes dans la continuité de la vie. Profondes sont les références à la psychologie, à la biologie, parfois aussi à une «nature» féminine. Les mâles - selon cette vision - auraient une relation discontinue avec le processus de reproduction qui se développe en dehors de leur corps et de leur contrôle. De là, l'envie pour le pouvoir de générer des femmes, et le désir de les dominer et d'exproprier leur pouvoir. Au contraire des féministes radicales qui auraient été trop prêtes à couper la maternité de leur vie, on affirme que seule l'universalité de la conscience maternelle peut établir une véritable identité politique féministe. En particulier, dans le mouvement des femmes pour la paix et l'éco-féminisme la maternité semble conférer des capacités spéciales pour protéger la vie et la nature, précisément ces valeurs qui seraient menacées par la culture "androcentrique".

Si donc, dans les années soixante-dix, la libération des rôles sexuels était la condition préalable à la libération de toute la société, à la fin des années quatre-vingt le renforcement des rôles de genre, et en particulier de la spécificité féminine, devient la base d'un projet d'humanisation de la culture et de la politique. Et encore, si le féminisme des années soixante-dix était caractérisé par un fort accent sur la liberté de la reproduction (voir les luttes historiques pour le contrôle des naissances et l'avortement), le désir d'avoir des enfants est revendiqué de plus en plus comme un nouveau droit qu’on pourrait appeler « le droit de la reproduction ». La maternité devient donc le point crucial ou sont basées les relations de pouvoir. La science corrélativement est considérée comme une expression de l'idéologie masculine du despotisme et du contrôle sur la nature. Loin d'être neutre et impartiale - comme le croyait Firestone - la science révèle toute sa charge idéologique dans son abus de la nature et des femmes : telle est la thèse bien connue de Carolyn Merchant (1980). La science "masculine", basée sur une relation de domination, est en plein contraste avec une science «féminine», qui exige le respect, l'intégration et l'harmonie avec la nature (Sandra Harding 1986).

Dans cette perspective, l’on signale le risque que les nouvelles technologies, avec les possibilités offertes aux femmes individuellement de battre l'infertilité et devenir mères, se traduisent dans une perte de pouvoir pour les femmes, en tant que groupe social. On craint en fait que, dans une société inégalitaire, les changements technologiques gérés par les hommes visent à renforcer le pouvoir masculin sur la vie et le corps des femmes. Aux droits individuels l’on oppose les responsabilités collectives: «Nous avons une responsabilité - écrit la psychologue Robyn Rowland - non pas tant pour les femmes qui veulent des enfants et qui sont stériles, mais pour les générations de femmes qui seront le produit de l’usage de ces nouvelles technologies » (1985 p.85)

D'après ce qu'on pourrait appeler la «théorie de la conspiration», au moyen de la reproduction technologique les hommes obtiendraient leur contrôle convoité sur la procréation, privant ainsi la partie femelle de tout rôle. Selon Gena Corea (1985) l’utilisation de l’utérus artificiel – où Firestone avait identifié l’instrument de la libération du sexe féminin – rendra les femmes ‘superflues’ en tant que mères. La réalité crée par les biotechnologies est décrite comme un « bordel reproductive » où les femmes peuvent vendre leur capacité reproductive de la meme manière dans laquelle les prostituées d’autrefois mettaient en vente celle sexuelle. Dans la reproduction artificielle l’on craint puisse émerger la «solution finale»: dans les textes d’Andrea Dworkin (1981,1983)  sont évoqués les fantômes de l'extermination et le cauchemar de l'Holocauste.

Réduites à "viande d'élevage » et à « pièces interchangeables de la machine de la naissance", les femmes seraient asservies, réduites en esclavage par la technologie, désormais incapables de contrôler leur vie. Celles qui subissent de telles techniques sont dépeintes comme des victimes de pouvoir médical ou de la fausse idéologie de la maternité. La reproduction technologique menace de devenir une nouvelle branche de la prostitution féminine: les parties du corps peuvent être vendues et les ventres loués. Les femmes seraient donc le nouveau catalogue du marché colossal de la reproduction humaine. En contraste frappant avec la vision de Firestone, on dénonce non seulement le role d’oppression des nouvelles technologies mais on voit en elles la pire forme d’exploitation patriarcale du corps féminin.

De « l’utopie de la libération », on passe, pourrait-on dire, à l'apocalypse…

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La question principale qui se pose, pour tracer un bilan critique, concerne la valeur explicative des deux arguments opposés. À mon avis, soit « l'utopie de la libération », qui voit dans la maternité un destin biologique à rejeter, soit « la théorie de la conspiration », qui revendique fièrement la maternité comme un rôle historique, ont une très faible valeur théorique. Ce qui est nécessaire, plutôt, c’est une approche critique, qui vise à problématiser la notion même de maternité et soit capable d'analyser, en termes rationnels et pragmatiques, le sens et la fonction des nouvelles techniques reproductives. La biologiste Linda Birke (1986) a noté, à juste titre, comme dans une certaine idéologie féministe nourrie par la nostalgie des figures primitives de la médicine ou de l’accouchement naturel, il y a, d’une part, la renaissance régressive d’un nouveau mythe de la nature, et d’autre part, le rejet de la science, sommairement identifiée a l’artificiel, et accusée de réduire les femmes à ‘objets de reproduction’.

Ce qui unit paradoxalement les deux thèses, au-delà de leur manifeste opposition, est une sorte de ‘déterminisme technologique’, néanmoins de signe différent : positifs dans le premier cas, négative dans le second. L’on attribue, en fait, à la technologie un pouvoir absolu de conditionnement sur la vie humaine, en détournant l'attention d’autres, peut-être plus important, éléments du complexe jeu social - la politique, l'organisation médicale de la santé, le système juridique, l'école, la famille, les croyances religieuses, etc. En acceptant l'un ou l'autre point de vue, le résultat irait de toute façon à l'encontre du rôle et du pouvoir des femmes individuelles, niant en fait, au nom d'un présumé sujet collectif, leur capacité de choisir et d'agir de manière autonome, en prenant des décisions qui pourraient diverger des stratégies politiques globales des différents féminismes. Au risque d'atteindre à une sorte de ‘maternalisme autoritaire’, égal et symétrique par rapport à l'ancien paternalisme…

 Au-delà des deux thèses extrêmes, qui ont soulevé des objections et des réserves même dans le contexte féministe, s’est progressivement constitué  un vaste champ d'étude et de recherche sur le sens et la fonction des nouvelles technologies de reproduction, en particulier par les "groupes d’attention »(GATRA), organismes qui se sont formés spontanément dans de nombreux pays européens et non européens, depuis 1984, dans le sillage des grandes conférences internationales organisées par les femmes, en particulier pour discuter de ces questions. On a entrepris, donc, un grand débat international qui a permis, ainsi que l'échange d'expériences entre les femmes de différents pays et différentes traditions culturelles et religieuses, d'étudier et de faire connaître à l’opinion publique les enjeux éthiques et juridiques, mais aussi psychologiques et sociales, soulevés par l’impact massif de plus en plus élevé des nouvelles technologies sur la santé mentale et physique des femmes. Par conséquent une importance croissante a été accordée aux problèmes éthiques de la recherche scientifique dans ce domaine et à la demande pour sa transparence effective, c’est-à-dire, pour un contrôle sur les objectifs, les résultats et les risques associés à l'utilisation de ces techniques. Les groupes ont joué un rôle très utile en surveillant les nouvelles situations provoquées par les progrès de la recherche biomédicale et en concentrant l’attention sur des éléments peu considérés (par exemple, la recherche sur les causes environnementales, sociales et iatrogènes de la stérilité et, à ​​la fois, sur le contexte culturel, social et politique spécifique de la reproduction artificielle.

En général, au centre du débat a été la tentative de clarifier le sens que les nouvelles technologies peuvent jouer dans l'expérience de la maternité, considérée dans ses aspects les plus larges et complexes, et d’envisager leurs conséquences sur l’histoire biologique, sociale, psychologique des femmes. Il s’agit d’approfondir, par exemple, quelles nouvelles significations symboliques puisse revêtir une maternité "brisée", dans laquelle sont séparés le aspects génétiques, biologiques et psychologiques, mais aussi d'enregistrer les changements profonds apportés par des techniques qui rendent ‘transparent’ le corps féminin et ses fonctions. La question qui ressort le plus clairement, à mon avis, est celle d'une ambivalence fondamentale : d'une part, les progrès médicaux et scientifiques ont offert aux femmes des possibilités toujours plus larges de décider si, quand et dans quelles conditions devenir mères ; de l'autre, ils ont augmenté la possibilité d'exercer plus de contrôle que dans le passé, sur leurs choix.

Les questions concernent, par conséquent, leur santé et leur bien-être psychophysique, mais aussi les reflets des nouvelles technologies sur les rôles sociaux :au-delà de la dimension strictement biologique elles affectent, en fait, le niveau symbolique, affectif et émotionnel. Dans ce cadre, on a posé des questions troublantes au sujet de leur fiabilité, de leur nature expérimentale et non pas seulement thérapeutique, de leur efficacité. Dans quelle mesure les femmes ne risquent pas de devenir les cobayes d'une énorme industrie pharmaceutique et biotechnologique ? Quelles sont les souffrances et les déséquilibres psychophysiques causées par la « course à l'enfant à tout prix»? On a mené des enquêtes sur les usages mauvaises du diagnostic prénatal, parfois visant à l'avortement sélectif en fonction du sexe; on a appelé l'attention sur les aspects aliénants liés à la «fragmentation de la maternité», dont les fonctions diverses ( la conception, la gestation, la naissance) pourraient être prises en charge par des personnes différentes. Surtout, on a signalé le danger d'une marchandisation croissante du corps féminin et d’une nouvelle forme de prostitution légalisée, celle des mères porteuses louant leurs ventres au plus offrant. Peuvent être considérés – on s’est demandé - éthiquement légitimes, au-delà de leur légalité juridique, de tels contrats ? Serait-il permis de transposer dans le domaine délicat de la reproduction de la vie la logique - et la cruauté - de l'économie de marché ? Ne pourrait-on configurer des nouvelles formes d'esclavage dans ces pratiques qui portent atteinte à la dignité de la personne humaine, dégradée à un moyen ?

Dans une vue d’ensemble, il s’agit de questions qui se posent à partir d'une approche particulière, fondée à la fois sur le concret (l'expérience des femmes et leurs besoins) et le symbolique (la signification du corps et la valeur de la maternité). La discussion sur les nouvelles techniques de reproduction a mis en évidence le caractère inéluctable de certaines questions, relatives à la sphère non seulement morale et juridique, mais aussi symbolique et, par conséquent, l'échec des réponses purement techniques.

L'une des questions les plus importantes concerne le désir du fils à tout prix: qu’est- ce qui se cache dans ce désir? En particulier, quel est le poids du stéréotype persistant qui associe la féminité à la maternité ? La médicalisation de la reproduction, mettant l’accent sur l’importance du lien génétique, est-elle vraiment la seule réponse? Le désir de maternité ne pourrait-il trouver un accomplissement dans l'adoption au lieu de la recherche effrénée pour le fils génétique? Mais tout d'abord, y-a -t-il a un droit à l'enfant? La question est de savoir si les nouvelles techniques de reproduction ont contribué à renforcer l'hypothèse tacite qu’avoir des enfants est un droit et qu'il est permis d'utiliser tous les moyens disponibles afin de les avoir. Encore plus, il est important de comprendre la signification de l'enfant dans la vie d’un couple : est-t-il un sujet en soi, ou il s’agit d’un objet, une sorte de produit de consommation, dont on pourrait sélectionner le sexe et les caractères, conformément aux différents désirs ?

En général, la réflexion sur la spécificité féminine a été une invitation à mettre l'accent sur un ensemble de problèmes souvent ignorés et à identifier des exigences politiques précises, modelées sur une réalité en constante évolution. Il ne semble pas, par exemple, insignifiant que celles dont les corps font l'objet de nouvelles technologies sont en grande majorité des femmes, tandis que ceux qui appliquent ces technologies – les biologistes moléculaires - sont majoritairement des hommes. La validité des Comités Nationales de Bioéthique a été souvent remise en question puisque considérés peu représentatifs de ces sujets – les femmes - qui avec leur corps et leur identité psychologique sont au cœur du processus de reproduction. On sait bien que les problèmes rencontrés en médecine et en sciences biomédicales nécessitent des réponses concrètes sur les droits des personnes concernées et les modalités d'allocation des ressources. Les décisions qui affectent la vie et les soins de santé - compte tenu de l'augmentation du volume des investissements publics dans ce domaine - se classent parmi les plus grands problèmes d'éthique et de la politique contemporaine. On doit déterminer, pour ne citer que quelques exemples, quelles technologies utiliser, quand, pour le bénéfice de qui et avec quelle priorité. Si l’on veut éviter le risque d'une « dictature des experts », doivent être représentés de manière adéquate tous les acteurs sociaux concernés pour rendre visibles les implications des recherches, les valeurs concernées, les coûts et les avantages. Les comités, en ignorant trop souvent le sujet-femme, qui risque de devenir un objet d'étude et de recherche, reflètent une réalité encore marquée par la marginalisation et l'inégalité du pouvoir de négociation des femmes.

En conclusion, si l’on voulait identifier une contribution de la culture féministe au débat bioéthique, on pourrait reconnaître - malgré la grande diversité des compétences et la variété des références théoriques - au moins deux principaux feux d’intérêt : d'une part, une attention constante à la spécificité des sujets qui y sont impliqués ; de l'autre, une réflexion critique sur la science et la technologie et leur impact sur la vie sociale, axée sur la notion de limite. L'un des thèmes dominants de notre époque est la recherche d'une éthique de la connaissance qui se concentre sur la notion de responsabilité. Puisque le progrès scientifique et technique ouvre des possibilités bouleversantes à la manipulation de la nature, mûrit l'idée d'une éthique engagée à ériger des barrières et à marquer ces limites que les scientifiques, traînés par les impératifs de la recherche, auraient tendance à dépasser. Cela a conduit à une concentration sur la réalité différente du sujet-femme, sur ses droits et ses besoins devant les défis de la biotechnologie. La pensée de la différence a eu des conséquences importantes dans le domaine de la bioéthique puisque a poussé à examiner de plus près la spécificité féminine et à ouvrir des enquêtes liées au terrain historique-sociale d'où naissent les questions de la vie et de la mort

note biographique

Luisella Battaglia, Professeur de Bioéthique et de Philosophie morale, enseigne à l'Université de Gênes et à l’Université Suor Orsola Benincasa de Naples. Elle a fondé à Gênes, l' Institut Italien de Bioéthique dont elle est directeur scientifique et fait partie, depuis 1999, du Comité National pour la Bioéthique. Ses publications incluent: Etica e diritti degli animali (Roma-Bari, Laterza, 1997); Alle origini dell’etica ambientale (Ed. Dedalo, Bari 2002), Bioetica senza dogmi (Ed. Rubbettino, Soveria Mannelli, 2009), Un’etica per il mondo vivente. Questioni di bioetica medica, ambientale, animale (Ed. Carocci, Roma 2011), Potere negato. Approcci di genere al tema delle diseguaglianze, sous la direction de Luisella Battaglia (Ed. Arachne, Milano 2014).

Références essentielles

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