labrys, études féministes/ estudos feministas
julho/ 2016- junho 2017 /juillet 2016-juin 2017

Cette violence qui ne saurait cesser...

tania navarro swain

Résumé:

Sous le couvert de s´adapter aux reivendications féministes, le patriarcat ne cesse pas de renouveler sa dominations sur les femmes, encore et toujours traduites en corps, en biologie, toujours orientées vers les tâches considérées subalternes. Autant dans le champ du politique que socio-économique, le fémininn se trouve en position de vulnerabilité. Figées dans les moules du sexe et de la sexualité, les femmes se plient encore aux dictats du patriarcat, dont la violence n´a pas de bornes. La prostitution est devenue un travail "naturel", choisi et la pornographie apprend la domination aux petits mâles et l´nfériorité de la condition féminine aux petites filles.

Mots-clés: femmes, violence, patriarcat, pornograhie, prostitution

La violence contre les femmes est un fait établi, concret, dans tous les pays dominés par le patriarcat. Violence matérielle – agressions, brutalité, assassinat, vente, mariages forcés, excision et infibulation, viols, voile ou burka obligatoires, punitions par l´acide, l´amputation, des mutilations multiples et la liste est infinie. Violence symbolique – toutes formes d´infériorisation sociale ou institutionnelle dont le fondement est d´ être “femme”. Que ce soit dans le domaine de l´imaginaire – les images produites avec et sur les femmes, sur le corps des femmes, ou dans les hiérarchies économiques et sociales, la violence s´exprime de plusieurs façons pour assurer la domination masculine.

Si les féminismes contemporains ont dénoncé et mis à nu les tentacules du patriarcat, celui-ci a toujours réussi à éviter la désintégration, car au fur et à mesure des conquêtes féministes, il s´est transformé et modifié pour développer des stratégies d´assujettissement qui ancrent son pouvoir sans le démontrer clairement. C´est ainsi que le féminisme aujourd’hui s´affaiblit et même oublie ses perspectives et objectifs majeurs, parmi lesquels celui de rayer le sexe biologique dans la définition sociale du féminin.

Je voudrais ici, parler de la violence contre le féminisme, au singulier, le féminisme radical, celui qui cherchait les racines de la domination masculine et dont le but était de transformer les relations sociales, déstructurer les hiérarchies basées sur le sexe biologique. La violence contre ce féminisme est extérieure et explicite exercée par les moyens institutionnels, dont notamment la religion et la législation, et ceux internes, plus subtiles, qui se débattent entre un nouvel assujettissement au patriarcat et la reprise des objectifs fondamentaux du féminismes.

Le féminisme a toujours prétendu l´égalité des droits, la pleine citoyenneté, une place sociale qui ne soit pas déterminée par le sexe, mais par les capacités individuelles. Le féminisme voulait faire des femmes des sujets politiques, de plein droit. Pour cela, pendant des décennies, les mouvements féministes avaient comme cible non seulement les traditions, les institutions et les pratiques sociales, mais aussi les cadres philosophiques, religieux, imaginaires qui construisent et naturalisent l´infériorité des femmes à partir de leurs corps. C´est à dire que l´action féministe était imbriquée dans un ensemble d´intense réflexion et de production théorique sur tous les élément fondateurs du binarisme, la « différence », ces sols marécageux et mouvants sur lesquels se basait l´infériorisation des femmes.

La « nature » des femmes est mise en cause, comme en témoignent les paroles de Simone de Beauvoir, répétées à l´infini. « Être femme », suggère-t-elle, c´est une construction sociale. En Occident, les femmes avaient montré leur valeur pendant les deux guerres mondiales : le monde masculin était surpris de constater la capacité féminine dans tous les domaines, quitte à la cacher ensuite, pour mieux assurer sa place dominante. Mais l´idée de la « nature » faible et incapable des femmes avait été à jamais démontée. La « différence » donc, le binaire d´ordre divin fut longuement discuté par le féminisme : les détails anatomiques de l´espèce n´étaient que prétexte pour ériger une hiérarchie sociale. En effet, si la « nature » avait été un signe de valorisation , les femmes en tant que génératrices de l´humain auraient dû jouir de la dominance sociale. La maternité cependant est devenue un destin et une obligation, une faiblesse, pas un atout, car le patriarcat veillait à ses assisses.

Une fois la « nature » écartée, la question était « qu´est-ce donc qu´une femme » ? Voulons- nous être femmes ? Quelle place ou quel profil le féminisme désire-t-il pour ces êtres sociaux, appelés femmes ? D´abord être sujet de plein droit sur son corps et sujet politique à la fois, puisque le cadre matériel de l´existence est déterminant pour inclure ou exclure les femmes des fonctions sociales.

« Le privé est politique, le personnel est politique », ce sont deux aphorismes qui n´ont rien perdu de leur signification. Sujets démarqués, mais sujets collectifs aussi, car la sororité n´était pas restreinte aux limites géographiques d´un pays ou d´un autre. La portée du féminisme se voulait universelle, « tant qu´il y a une femme opprimée ».

De quelle place parlons-nous, nous qui refusons le lieu de parole cerné par les limitations de « l´être femme » ? Des philosophes telles que Tereza de Lauretis ou Rosi Braidotti discutent la « désidentification » c´est-à-dire le refus de s´identifier aux représentations et aux rôles attribués au féminin social. La race et les classes sociales comprises dans le multiple du féminin, ont été également objets de débats et d´une intense production théorique.

Toutes ces questions sont très connues de qui a un tout petit peu de lecture sur le féminisme. La pertinence de ces perspectives pour l´analyse du social a reçu une réaction académique de silence, un silence apeuré d´un côté et une attitude méprisante de l´autre. L´activisme féministe dans l´académie a, cependant, changé à jamais les disciplines universitaires.

Mais alors, le genre est arrivé. Le succès de cette catégorie s´est immédiat imposé comme une traînée de poudre car son emploi a-critique vidait le féminisme de son aspect dangereux, en ouvrant les portes aux masculinités de toutes sortes, dans un relativisme qui mettait côte à côte la construction sociale des femmes et celles des hommes, comme s´il n´existait pas de hiérarchie. Dorénavant donc, pour étudier les femmes, il fallait impérativement étudier les hommes.

Le patriarcat a sans cesse œuvré dans le sens d´une économie sociale qui distinguait les sphères masculine et féminine dans toutes celles du social ; mais avec le « genre » tout se passe comme s´il n´y avait pas de césure. Le genre n´existe pas en dehors des normes de genre, alertait Judith Butler ; cette prémisse renvoie immédiatement aux conditions de production et de possibilité dans la matérialité des relations sociales, mais cette objectivation des rapports sociaux de pouvoir, perd de sa force au fur et à mesure de la pénétration des interférences masculines au sein des études de genre. Le relationnel ne renvoie plus aux analyses des trames de pouvoir pour mieux exclure et dominer les femmes, mais simplement pour décrire la construction sociale des sexes. Tout se passe comme si le pouvoir masculin était incontournable et référentiel.

L´histoire se trouve bloquée par cette universalité qui revient au galop ; la recherche se limite, dans la plupart des cas, à prendre la division genrée du monde comme cadre inéluctable des relations humaines.

Le « genre » a ainsi envoyé le féminisme et ses objectifs de transformation sociale aux oubliettes. Car, si au tout début il a aidé à la compréhension de la construction sociale des sexes, il a été rapidement utilisé approprié sans que les conditions de production du féminin soient mises en valeur. Si l´analyse « genrée » du social était censée dévoiler les rapports de pouvoir basés sur le sexe biologique, désormais cette catégorie se retrouvait domestiquée, en passant du travail d´ausculter la profondeur des structures à la description superficielle des relations sociales.

Le patriarcat, en tant que système de domination et d´exploitation du féminin, a pratiquement disparu du débat féministe : les institutions patriarcales dans l´économie, le travail, le politique strictu sensu, le politique dans son large spectre de relations de pouvoir, donnent lieu à un soi disant « post féminisme » ; celui-ci soutient la thèse de la fin du féminisme car il prétend que toutes les revendications des femmes seraient finalement exaucées.

L´autonomie promise aux jeunes femmes dans une société plus ouverte, cache l´emprise sournoise du patriarcat dans les institutions qui se renouvellent, dans la violence matérielle et symbolique qui entoure le féminin. Les dénonciations de ces perpétuelles violences ne révèlent pas le tissage d´un système qui ne les contrôle pas ; au contraire, la violence patriarcale ne fait que s´accroître, forme classique de domination.

Les mouvements féministes ont déserté la théorie ; c´est ainsi que la dés-identification aux sujets sociaux « femmes », qui détachait le sexe biologique du sexe social dans les rapports sociaux, on est passé au sexe tout court. La prémisse « le genre construit le sexe » qui signifiait l´importance donné au sexe dans un système matériel de rapports de pouvoir est devenu  « le sexe construit le genre », c´est à dire, la même prémisse que discutait le féminisme dès ses débuts. Dorénavant, le sexe devient l´axe autour duquel l´individu, femme / homme, se reporte.

Tout en niant le biologique, le sexe est le déterminant de la subjectivité, car on peut se déplacer de l´un à l´autre, féminin en masculin ou vice-versa, sans toutefois se détacher du sexe comme pivot de ce mouvement. Paul. Le sexe devient le fétiche des soi-disant dé-constructeurs du genre. La question identitaire qui était cruciale pour le féminisme dans la tâche de défaire le lien entre le sexe biologique féminin et sa construction sociale, devient à nouveau la pierre de touche de la subjectivité : ce qui se pose maintenant c´est la mouvance entre un sexe et l´autre, entre l´hétérosexualité et la bi /homo/ trans/ multiple sexualité au goût d´une subjectivité sexuée mouvante.

La nouvelle liberté est celle de choisir son sexe et sa sexualité, mais ceci ne vole pas plus haut que les limites du sexe comme élément de définition de l´humain. En effet, pour se démarquer du genre, c´est au sexe qu´on fait appel.

Pour les femmes en général, cet immense contingent dont le sexe social est le signe d´infériorité, cette liberté ne signifie rien. Au contraire, le patriarcat dans son habituel mouvement d´adaptation pour mieux ressurgir, phénix éternelle, s´empare de cette attention renouvelée sur les corps pour ancrer la subjectivité en dehors de ses conditions de production, des pratiques discursives et non discursives, comme si le sujet s´inventait uniquement et librement que sur la base sur du sexe et de la sexualité .

Ana de Miguel, Laura Garcia explicitent ce nouveau sujet, que déserte le féminisme, comme étant un sujet néo-liberal,

“En particular, bajo el neoliberalismo estamos normativamente construidos e interpelados como “emprendedores del self”. El sujeto neoliberal es un individuo que es totalmente autónomo y autorregulado, cuyo valor se mide en gran medida por su capacidad de autocuidado y auto-mejora, utilizando cálculos de coste-beneficio fundamenta dos en principios basados en el mercado para todos sus juicios y prácticas.”

Pour compléter cette perspetive, De Miguel e Garcia affirment que :

“Las desigualdades estructurales, las relaciones de poder y las heridas sociales se tornan cada vez más inexpresables. El contexto de toda vida se sustituye por la exigencia de representar todas las biografías vitales cognoscibles y significativas a través de una narrativa de elección individual y libre.”

En fait, le performatif de la construction de la subjectivité basé donc sur des conditions spécifiques de production, d´imagination et de possibilité se transfère à un individualisme féroce dont l´axe central ne tient plus compte des rapports matériels de pouvoir, des relations socio-économiques, des pressions exercées par les traditions et les institutions qui composent le tissu social et régit les représentations des individus. Surtout, il ne tient plus compte du patriarcat en tant que système général de promotion, ainsi que de coercition et délimitation de l´humain.

Ce tournant vers le sexe et la sexualité a complètement vidé le féminisme de ses objectifs et a oublié la lourde matérialité qui régit les rapports de pouvoir dans le patriarcat, toujours ouvert à la violence sous toutes ses formes pour assurer la domination masculine.

Le féminisme a voulu défaire le lien entre le sexe biologique et le sexe social. Le concept de genre pouvait éclairer cette distinction car, comme l´a bien exprimé Butler, il n´y a pas de genre hors des pratiques de genre.

Or, au coeur du tournant promu par le patriarcat, le genre devient synonyme de sexe et d´une liberté sexuelle qui revendique une sexualité multiple. Le fondement de cette liberté serait, comme je l´ai déjà explicité, un individu autonome, auto gestionnaire, centré sur la sexualité qui pourrait lui fournir une place dans un social plus ouvert. Cependant, le patriarcat veillant, ce social prétendument modifié, conserve son cadre binaire.

En ce qui concerne la perspective « queer » d´une identité mouvante, entre sexe et genre, ses tentatives d´accomplissement reviennent au sexe comme fondement : ainsi dans l´exemple de Preciado, qui passe de son rôle social féminin « Beatriz » à un autre, masculin « Paul », c´est à dire, du féminin au masculin et vice versa, quel est le changement, la transformation structurelle de la société ? Une brèche peut-être s´ouvre dans les rapports socio- sexuels, mais aucune mutation se fait dans la dominance patriarcale ; en effet, si une minorité peut jouer la mouvance dans le sexe et la sexualité, l´immense masse des femmes, sexe social immuable dans ce schéma, reste limitée aux rapports patriarcaux de pouvoir et de force.

Il y a une dérive patriarcale de cette tendance, dans la mesure où l´individu fort de sa sexualité et autonomie devient un entrepreneur de lui même, dans une flagrante contradiction avec la mouvance du sujet, puisque la fixation dans la sexualité est devenue la vérité du corps.

Dans ce cas, la sexualité devient l´essence de l´individu, sa forme d´expression, l´expression de sa vérité en somme. Et surtout, cette vision soutient un sujet détaché de ses conditions de production, du cadre matériel et technique dans lequel il est construit. Ainsi, ceci nie tout le débat contemporain qui s´est trouvé au centre des discussions académiques sur le sujet et qui affirmait sa construction sociale, matérielle, imaginaire, représentationnelle. Dépourvu d´une essence immuable.

Foucault alertait déjà du danger que représentait la constitution de nouvelles chaînes à partir d´une sur-évaluation de la sexualité.

« On évoque souvent les innombrables procédés par lesquels le christianisme ancien nous aurait fait détester le corps; mais songeons un peu à toutes ces ruses par lesquelles, depuis plusieurs siècles, on nous a fait aimer le sexe, par lesquelles on nous a rendu désirable de le connaître, et précieux tout ce qui s'en dit; par lesquelles aussi on nous a incités à déployer toutes nos habiletés pour le surprendre, et attachés au devoir d'en extraire la vérité; par lesquelles on nous a culpabilisés de l'avoir si longtemps méconnu. Ce sont elles qui mériteraient, aujourd'hui, d'étonner. Et nous devons songer qu'un jour, peut-être, dans une autre économie des corps et des plaisirs, on ne comprendra plus bien comment les ruses de la sexualité, et du pouvoir qui en soutient le dispositif, sont parvenues à nous soumettre à cette austère monarchie du sexe, au point de nous vouer à la tâche indéfinie de forcer son secret et d'extorquer à cette ombre les aveux les plus vrais. Ironie de ce dispositif : il nous fait croire qu'il y va de notre " libération ".» (Foucault, 1976 :210/211)

Ce que voulait le féminisme c´était la dissolution du sexe social en tant que socle des rapports de pouvoir, basé sur le biologique ; ce qu´on voit aujourd'hui c´est une expansion des actes et de groupes soi-disant féministes, divorcés de la discussion théorique qui avait soutenu et donné sa force à l´approfondissement du féminisme académique en étroit rapport avec les mouvements des femmes.

On ne s´enquiert plus sur la performativité du sujet, mais au contraire, on l´affirme en tant que performance qui, tout en étant vide de substance, se manifeste essentiellement par la sexualité dont le centre est une économie du plaisir .

La liberté de cet individu n´est que l´affirmation positiviste de son existence. C´est l´agentivité , néologisme qui voudrait expliquer simplement par son énonciation l´extension de sa signification et de son pouvoir émanant de l´individu autonome, libre des contingences de ses conditions de production.

Un exemple paradigmatique à cette perspective est celui de la prostitution.

D´un côté, s´érigent les soi disant « féministes » pour défendre l´existence de la prostitution sous prétexte de la liberté de choix des femmes, qui donc, choisissent d´être putes. C´est l´agentivité en action, c´est la perspective de l´individu autonome, entrepreneur de soi, qui gère sa vie et son insertion dans le social suivant ses tendances et ses goûts. De l´autre, les féministes qui veillent sur les conditions de vie des prostitués, sur la misère psychologique et social, et qui dénoncent la prostitution en tant qu´institution majeure du patriarcat.

Donc, ce féminisme « libertaire » et néo- humaniste, regarde ces femmes qui ont été traînées vers la prostitution par les conditions matérielles et patriarcales de leur vie, comme des êtres libres, revendiquant une fausse dignité sous la rubrique « travail du sexe », ouvrières dans « l´industrie du sexe ». Ces femmes, qui cherchent avec désespoir une auto-estime, une raison d´être, sont enfoncées dans la domination patriarcale la plus paroxystique, celle qui, en leur donnant un « travail » ne font que les transformer même pas en corps car sans substance, mais en orifices à être pénétrés. Cette perspective de la prostituée comme la femme libre cache le fait qu´ elle n´existe que par et pour le plaisir de l´homme. La soumission ici se déguise en liberté individuelle, clouée à un corps asservi.

S´il y a des femmes qui choisissent de se prostituer – tout est possible dans ce monde- cette minorité ne peut pas devenir l´exemple et la justification d´une activité qui rabaisse les femmes au niveau de marchandise, de choses. Elles sont plutôt des agentes du patriarcat, telles que les soi-disant « féministes » qui défendent leur agentivité, complices d´un système qui courbe les femmes aux désirs masculins. C´est oublier la réalité de millions de femmes et jeunes filles vendues, trafiquées, battues, violées, forcées à se vendre dans les rues à tout un chacun, `sans protection, sans futur, chair à plaisir, pondeuses d´enfants jetés dans les couloirs de la drogue et aussi de la prostitution.

Mais la prostituée libre se place hors de ces conditions épouvantables des rues et des bordels, car elle se couvre du drapeau du choix et de la liberté. Voilà que la liberté sexuelle prônée par le féminisme, ainsi que le détachement du sujet politique du corps sexué devient l´enchaînement des femmes à leur corps au service des hommes.

L´entrepreneuse de soi est le jouet et la proie des trafiquants et proxénètes, les vrais entrepreneurs, qui s´enrichissent aux dépends des corps féminins, vendus à qui mieux mieux, malgré la véhémence des féministes plongées dans l´oxymore, car elles ne sont que féministes patriarcales.

Ainsi, l´abandon de l´analyse du patriarcat comme institution systémique qui régule les rapports sociaux a fait éclore l´idée de l´individu hors de ses conditions de production, libre comme l´air pour faire ses choix. Tout se passe comme s´il n´existait plus de patriarcat ; les femmes auraient réussi à avoir une égalité totale avec les hommes : le féminisme aurait donc perdu sa raison d´être. La réalité des faits démontre la fausseté de cette perspective, étant donné la violence, l´exclusion des rangs des décideurs, la hiérarchie salariale présente sur le marché du travail, la justification de l´exploitation des femmes en état de prostitution renommée « travail ». En effet, ce qui est protégé dans cette optique c´est le droit des hommes à l´accès aux corps des femmes, sans limites, sans aucune justification.

Le patriarcat est fort et habile en stratégies et tactiques. Le débat sur la prostitution a réalisé une vraie fissure entre les féministes, entre les complices de l´exploitation à outrance des femmes transformées en corps « libres » et celles qui se tournent vers la protection des prostitués, tout en dénonçant l´emprise du patriarcat.

Ana de iguel et Laura Garcia expliquent qu´il y a maintenant une dénomination spécifique pour ce dernier groupe féministe, visé spécialement par le patriarcat:

« [… ]SWERF”, el acrónimo en inglés para “feminista radical que excluye a la trabajadora sexual” (“Sex Worker Exclusionary Radical Feminist”), que se usa para insultar a aquellas que se atreven a criticar a la industria del sexo y a apoyar el “modelo nórdico”. Los tan fáciles (normalmente unidos) diagnósticos de SWERF, “putafóbica”, “kinkfóbica” o “sexofóbica” tienen hoy el poder nada más y nada menos que de arruinar carreras profesionales”.

Des “porn studies”1 à l´exaltation de la prostitution et de l´exposition « érotique » des corps féminins, nous assistons non seulement à une désintégration du féminisme, mais aussi à une régression à des décennies antérieures. Malgré l´apparente dissémination du féminisme, les revendications demeurent ponctuelles et n´approfondissent pas les questions liées au système qui soutien encore la violence contre les femmes.

Naturaliser la prostitution, le désir et la « nécessite » des hommes de se procurer du plaisir ne change en rien l´image de la femme soumise et docile, sous d´autres habits, ceux de la liberté. Les jeunes filles sont libres, mais obligées par les conditions de production et d´imagination dominantes à changer cette liberté pour une activité sexuelle dès leur plus jeune âge, malgré elles.

Je peux dire, sans peur de me tromper, que l´emprise patriarcale sur les femmes, aujourd'hui les ramènent à leur corps et au sexe biologique de forme plus sournoise et plus subtile, mais avec la même violence qu´ auparavant. Et maintenant, le patriarcat n´a même plus besoin de se défendre ou de se justifier pour exploiter les femmes : les féministes le font pour lui, paladines des droits masculins : des guérillères d´autrefois qui dédiaient leur vie à la destruction du patriarcat sont devenues leurs plus fidèles alliées. Sans même le savoir, sans même s´en rendre compte, dans certains cas.

La violence patriarcale atteint le féminisme de plein fouet, menée par les intérêts masculins qui s´en mêlent, générateurs d´une hyper sexualisation qui fait un retour en arrière d´au moins 50 ans. La pornographie débridée, la pédophilie, la zoophilie, la prostitution naturalisée, sont revendiquées par les hommes : « j´ai le droit à ma pute », disaient les français lors du projet de la pénalisation des clients.

Les réseaux sociaux, l´internet en général diffusent et justifient toutes les exploitations des corps, pliés aux plaisirs masculins. Le viol en groupe, le féminicide sont des manifestations claires de l ´acharnement masculin contre les femmes. Il s´agit encore de l´idée ancienne du désir incontrôlable des hommes qui refait son apparition, justifiant toutes les exactions contre les femmes. Finalement, ce n´est pas de leur faute, c´est la nature. Celle dont on pensait avoir défait la portée.

Le patriarcat n´est pas une idée abstraite : c´est la manifestation matérielle de la domination masculine, au moyen des institutions, de la législation, de la religion dans des pratiques menées par des hommes, les pères, les maris, les fils, les petits amis. Et aujourd´hui également par un féminisme qui a perdu ses visées fondamentales.

Le patriarcat a réussi encore une fois à semer la zizanie entre les féministes, à centrer la subjectivation sur le sexe et la sexualité. Donc à reconsidérer leur corps comme socle et limite des femmes. La recherche des racines structurelles a soutenu le féminisme dans l´affranchissement des frontières qui leur ont été imposées. Il est temps de reprendre l´action radicale pour changer les conditions de production des femmes retransformées en corps et sexe.

C´est à nous de casser ces nouvelles chaînes.

***

 

note biographique

tania navarro swain, Professeure del´Université de Brasilia, docteure de l´Université de Paris III, Sorbonne. Elle a été professeure invitée, en 1997/98 à l´Université de Montréal-UdM, ainsi qu à l´Université du Québec à Montréal, à l`IREF- Institut de Recherches et Études Féministe. Elle  a créé le premier cours d Études Féministes au Brésil, en graduation et  Post-graduation, au niveau de Maîtrise et de Doctorat . Ses publications comprennent des livres,et de très nombreux  chaapitres de livre et articles dans des revues brésiliennes ou internationales (voir site www.tanianavarroswain.com.br) .Elle est également éditeure de la revue électronique "Labrys, études féministes", www.labrys.net.br

 

Bibliographie

Michel Foucault. 1976, Histoire de la Sexualité I, Paris?Gallimard

Ana de Miguel, Laura Garcia . Pornografía feminista, pornografía antirracista y pornografía antiglobalización? Para una crítica del proceso de pornificación cultural. Labrys, estudos feministas/ études féministes, janvier/juillet 2016. www.labrys.net.br. acédé le 24/03/2-17

 

note

1 Porn Studies is a quarterly peer-reviewed academic journal covering the study of pornography. It is published by Routledge and was established in 2014. The editors-in-chief are Feona Attwood (Middlesex University) and Clarissa Smith (University of Sunderland).

In a call for papers, the editors described the journal as "the first dedicated, international, peer-reviewed journal to critically explore those cultural products and services designated as pornographic".

 

 

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