labrys, études féministes/ estudos feministas
julho/dezembro2007- juillet/décembre 2007

Contribution à l’implantation des études sur les femmes et les rapports de sexe

 

Anita Caron

Ayant travaillé, de 1950 à 1962, comme permanente dans des organismes d’Action catholique à Montréal, j’ai été amenée à constater la situation d’aliénation et d’exclusion dans laquelle se trouvaient bon nombre de femmes au Québec et ailleurs. Engagée, à compter de 1962, dans des études en vue d’une maîtrise et, par la suite, d’un doctorat en Sciences religieuses, je me suis intéressée de plus près à la place qu’occupaient les femmes dans la tradition judéo-chrétienne. C’était la période préparatoire aux travaux du Concile Vatican II et un moment privilégié pour formaliser des recommandations.

Recommandations sur la place des femmes

Avec quelques femmes qui, comme moi, avaient milité dans l’Action catholique, j’ai donc entrepris, à ce moment, une démarche de réflexion à partir d’ouvrages et d’articles proposant des assises théoriques en vue d’une reconnaissance effective des femmes comme personnes à part entière. Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir a été un élément déterminant dans la préparation du document rédigé à l’intention des évêques qui participaient aux sessions du Concile.

Ce document rassemblait des constats, des souhaits et des recommandations concernant le statut et le rôle des femmes dans la famille, la société et l’Église. Le texte remis aux évêques a aussi été diffusé dans Le Devoir, à l’automne 1965. Il a donné lieu également à diverses couvertures médiatiques notamment sur la question de l’accès au sacerdoce pour les femmes. Il a suscité chez moi une volonté de contribuer à une reconnaissance des femmes en tant que sujets. Mes fonctions de professeure à l’Université du Québec à Montréal allaient m’ouvrir la voie en ce sens.

Création de cours sur les femmes et les rapports de sexe

Mes services ayant été retenus comme professeure au moment de la création de l’Université du Québec en 1969, je m’empressai de faire inscrire un cours sur Femmes et religions dans la programmation qui prenait forme à ce moment. Il n’était évidemment pas encore question d’études féministes.

Un cours d’histoire offert en 1972 à près d’une centaine de personnes allait cependant sensibiliser la population universitaire à la nécessité d’une programmation ayant pour objet « la condition des femmes »[i]. Le secteur des sciences humaines a exploré alors la possibilité de proposer un certificat à l’intention de personnes qui intervenaient dans des groupes de femmes.

Perspectives d’une programmation

J’ai été invitée avec d’autres collègues à une rencontre de consultation sur les objectifs et les contenus d’un tel certificat. Il est apparu alors aux personnes participant à cette consultation que la formule d’un certificat ne devait pas être retenue en raison des risques de professionnalisation et de ghettoïsation qu’elle comportait. On a convenu cependant qu’il y avait lieu de proposer à l’ensemble de la population universitaire des activités d’enseignement, de recherche et de services à la collectivité ayant trait aux femmes et aux rapports de sexe.

Un groupe de travail a été créé pour identifier les activités d’enseignement déjà existantes dans ce champ d’étude et explorer la possibilité d’en créer d’autres. Des rencontres regroupant professeures, chargées de cours, étudiantes et professionnelles ont permis alors de faire régulièrement le point sur des mandats confiés en vue de l’aménagement d’enseignements, de l’identification de travaux de recherche en cours et d’un suivi à apporter à des demandes de formation provenant de groupes de femmes.

On le voit, dès ce moment, la démarche entreprise se voulait interdisciplinaire et en lien étroit avec le mouvement des femmes. Né de la volonté d’une quinzaine de professeures oeuvrant dans divers champs disciplinaires, le groupe qui prenait forme avait le souci de proposer des modes d’organisation qui favorisent l’interrelation entre des chercheures de différentes disciplines mais également la coopération avec des groupes de femmes.

C’est pourquoi le projet soumis à la Direction de l’UQÀM proposait la constitution d’un groupe ayant pour mandat d’offrir des activités d’enseignement, de coordonner des travaux de recherche et de répondre à des demandes d’expertise.

Création du Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche sur les femmes (GIERF)

            Faisant suite à cette proposition, la Commission des Études créait, en 1976, le Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche sur les femmes et lui confiait le mandat suivant :

-                  voir à la coordination et à la création d’enseignements crédités mettant à contribution les points de vue de différentes disciplines dans l’étude des rapports de sexe ;

-                  promouvoir et coordonner les recherches menées dans ce champ d’étude et favoriser leur mise en commun ;

-                  établir des rapports avec les groupes de femmes en vue de répondre à leurs besoins en recherches, conférences, expertises ou colloques.

            Avant de devenir une instance officielle, le groupe a connu une période expérimentale de trois ans. J’ai personnellement assumé la coordination des quatre premiers cours donnés à l’automne 1976.

C’est à l’automne 1979 que le GIERF sera officiellement reconnu comme instance d’enseignement et de recherche et pourra compter sur la désignation officielle d’une coordonnatrice. À ce moment déjà, le groupe proposait un vaste champ de recherche et d’enseignement sur la situation des femmes et les rapports sociaux de sexe. Il offrait également une diversité de services aux groupes de femmes et s’avérait une structure dynamisante permettant de rendre significative la place des femmes dans l’Université en assurant la diffusion et le rayonnement de leur action à l’interne comme à l’externe. La création d’un institut de recherche en 1990 en sera une confirmation et un renforcement.

Poursuivant le mandat initié par le Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche sur les femmes (GIERF), l’Institut de recherche et d’études féministes (IREF) continue à rendre significatif, au début de ce troisième millénaire, l’apport des études féministes à une vision critique et renouvelée de différentes dimensions du savoir.

Je me considère privilégiée d’avoir été associée à la création et au développement du groupe qui en a assuré l’orientation et le dynamisme. Je me réjouis aussi d’avoir bénéficié moi-même du soutien de cette instance dans les travaux de recherche que j’ai menés, au cours des dernières années, sur les rapports hommes-femmes dans l’Église[ii] et sur le réseautage de chercheures et d’intervenantes en vue de la mise en œuvre de politiques et de pratiques pouvant contrer l’appauvrissement des femmes[iii].

Quelques publications de l’auteure

Caron, Anita. Les parents et le statut confessionnel de l’école au Québec, Sillery, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1984.

Caron, Anita. La Famille québécoise, institution en mutation ? : analyse de discours et de pratiques de groupes intervenant auprès des couples, Montréal, Fides, 1985.

Caron, Anita et Lorraine Archambault. Thérèse Casgrain : une femme tenace et engagée, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1993.

Caron, Anita. Femmes et pouvoir dans l’Église. Montréal, Distribution, Agende de distribution populaire, 1991.

Caron, Anita. L’éducation morale en milieu scolaire : analyse de situation et perspectives, Montréal, Fides, 1987.

note biographique

Caron, Anita ,Professeure émérite à l’UQÀM, Anita Caron est à la retraite du Département des sciences religieuses depuis le 1er juin 1993. Ses principaux champs d’enseignement et de recherche ont été les études féministes, l’éducation morale et religieuse, l’éthique, et la formation des enseignantes et enseignants. Plusieurs de ses travaux de recherche ont porté sur la question des femmes et de la religion. Cofondatrice de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), elle en a été la première directrice de 1990 à 1993.

 

Notes  


[i] Sur le même sujet, voir la contribution de Nadia Fahmy-Eid.

[ii] Les femmes et leur participation au pouvoir dans l’Église (FCAR 1986 ‑ 1988). Groupes de femmes et participation au pouvoir dans l’Église (FCAR 1988 ‑ 1990). Femmes, formation théologique et emplois (CRSH 1990 ‑ 1992). Des alternatives aux représentations traditionnelles des rapports hommes-femmes dans l’Église (CRSH 1993 ‑ 1996).

[iii] L’économie sociale et la lutte contre l’appauvrissement des femmes (CRSH 1997 ‑ 2000). Réseau féministe pour un renouvellement des théories et des pratiques économiques et politiques (CRSH 2000 ‑ 2003).

 

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