labrys, études féministes/ estudos feministas
janvier/ juin / 2014  -janeiro/junho 2014

 

Femmes, « obésité » et confessions de la chair :

regard critique sur la Clinique de lobésité

Geneviève Rail

Résumé

La construction récente d’une soi-disant « épidémie d’obésité » a été alimentée par des études épidémiologiques récupérées par les médias et la suggestion d’une accélération rapide des taux d’obésité dans le monde occidental. Les études liant l’obésité à la mauvaise santé ont aussi explosé et grandement influencé notre culture populaire. Dans cet article, je présente une série de cartes postales pour résumer le discours dominant sur l’obésité et documenter le terrain rhétorique propre à la perception d’une épidémie imminente. Je propose également des contre cartes postales afin de contester les postulats objectifs des cartes postales et de mettre en contexte la naissance de ce que j’appelle la « Clinique de l’obésité ». Je parle de cette clinique polymorphe en tant qu’appareil de capture soutenu par la biomédicalisation, le bioéconomique et les discours bioculturels. Je parle surtout de sa réglementation et de son abjection des corps de femmes, particulièrement ceux qui sont vus comme gros et indisciplinés. Je conclus par quelques réflexions sur la Clinique de l’obésité et sa façon de territorialiser ainsi que ce que cela signifie pour les femmes.

Mots-clé : obésité, cartes postales, discours dominant,  biomédicalisation, bioéconomique, bioculturels

 

 

Les pratiques du corps et de la santé auxquelles s’adonnent les femmes ne sont pas neutres. Au fil des temps, elles ont joué un rôle prépondérant au sein de plusieurs projets biopolitiques. Depuis quelques années, un nombre important de ces pratiques sont encouragées et conçues en tant qu’armes cruciales dans la « guerre contre l’obésité » (Rail, Holmes et Murray, 2010 : 259). Cette reconfiguration de la culture du corps coïncide avec la prolifération phénoménale des écrits épidémiologiques, physiologiques et médicaux sur l’obésité (pour un bref aperçu, consulter Gard, 2011 ou encore Gard et Wright, 2005) et avec la récupération de tels écrits par les médias, les institutions d’enseignement, les professionnels de la santé et du conditionnement physique, et les organismes de santé publique. Selon ces écrits, la « crise » frapperait un nombre croissant de pays. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère, quant à elle, que nous sommes menacés par une véritable catastrophe mondiale. L’OMS a décrété que l’obésité est « une maladie grave » (2003 : 4) et recommande l’utilisation de méthodes visant à limiter « l’épidémie mondiale d’obésité » (2010 : v).

Lorsqu’on parle d’obésité, la position « normative » (Wright, 2009 : 5) est habituellement celle proposée par la biomédecine mais la recherche sur l’obésité s’est récemment développée pour inclure de nouvelles études audacieuses menées par des sociologues et quelques chercheurs en biomédecine. Ces personnes contestent l’utilisation du terme « épidémie » (Campos et al., 2006 ; Gard, 2004), l’idée voulant que l’obésité soit une maladie (Gaesser, 2003a; Oliver, 2006; Ross, 2005), la charge de maladies attribuables à l’obésité (Gaesser, 2003b, 2003c; Mark, 2005), le lien entre l’obésité et la mortalité (Campos, 2011; Farrell et al., 2002; Flegal, 2005; Mark, 2005) et l’identification de l’obésité en tant qu’enjeu prioritaire en santé publique (Campos et al., 2006; Evans et Colls, 2009; LeBesco, 2010). De plus, ces auteur.e.s ainsi que quelques autres ont relevé certaines contradictions concernant la mesure de l’obésité, ses causes, les solutions proposées et les interventions pour la réduire (Gaesser, 2009; Herrick, 2007; Holm, 2007; Komesaroff et Thomas, 2007; Rich, Monaghan et Aphramor, 2011). Ces débats critiques ont provoqué de nouveaux questionnements mais se sont malheureusement presque toujours déroulés loin du public.

Entre temps, les médias ont continué à répandre des histoires qui sèment la peur et l’anxiété face à l’obésité (Boero, 2007; Gard, 2009; Saguy et Almeling, 2008). Des émissions de téléréalité portant sur la perte de poids sont apparues à l’écran dans de nombreux pays comme les États-Unis (ex., Big Medicine, The Biggest Loser, Biggest Loser Club, Celebrity Fit Club, Dance Your Ass Off, Jamie Oliver’s Food Revolution; Obesity: The Series, Weighin In), l’Australie (ex., The Biggest Loser - Australia, Biggest Loser Club – Australia, Overhaul, Celebrity Overhaul), le Canada (ex., Taking It Off, X-Weighted, The Last 10 Pounds Bootcamp, Village on a Diet) et la Grande Bretagne (ex., Honey We’re Killing The Kids, Supersize vs Superskinny, You Are What You Eat). En fait, des chercheurs ont recensé la multiplication d’histoires et de programmes portant sur l’obésité au Canada (Holmes, 2009), aux États-Unis (Campos, 2004; Oliver, 2005; Orbach, 2006; Saguy et Almeling, 2008; Saguy et Gruys, 2010), en Australie (Gard et Wright, 2005; Gard, 2011) et en Angleterre (Evans, Rich, Davies et Allwood, 2008; Evans, Rich, Allwood, et Davies, 2005; Evans, Rich et Davies, 2004). Tous les auteurs susnommés ont immanquablement admis la présence d’un « discours dominant sur l’obésité ». Ce discours propose une vision mécaniste du corps, mettant l’accent sur une supposée relation entre la sédentarité, une mauvaise alimentation, l’obésité et une mauvaise santé. Simultanément, l’obésité est présentée en des termes moraux et économiques, ce qui devient problématique. Les corps obèses et « à risque » (i.e., en surpoids ou « pré-obésité » pour reprendre le terme de l’OMS) sont perçus comme paresseux, coûteux et devant être pris en charge par des experts (Groskopf, 2005; Monaghan, 2007). Si les experts sont généralement des physiologistes et des médecins, les corps qui doivent être contrôlés sont le plus souvent ceux des femmes puisque ce sont elles qui sont surreprésentées dans les statistiques sur l’obésité (OMS, 2013 : web) et que la grossesse a été identifiée comme un facteur majeur dans l’épidémie d’obésité (Jette et Rail, 2013a).

Le puissant discours sur l’obésité constitue aussi un moteur biopolitique alimenté par l’idée qu’il s’agirait d’une « épidémie ». En fait, les auteurs constatent que la notion d’épidémie sert à légitimer l’allocation massive de ressources à la surveillance et au confinement des corps, en particulier ceux des femmes (Herrick, 2007 ; Rich et Miah, 2009). Selon Harwood, la prétendue épidémie d’obésité a ouvert la porte à la création de nouvelles pratiques disciplinaires qu’on peut concevoir comme « biopédagogiques » (2009 : 15). Inspirées des notions foucaldiennes de biopouvoir [1] (Foucault, 1963, 1975) et de biopolitique [2](Foucault, 2004b), ces biopédagogies sont axées sur la régulation morale de la bios ou vie (i.e., comment manger, comment bouger, comment vivre). Les biopédagogies peuvent ici être envisagées comme mécanismes de gestion des corps dont le double but serait de réduire l’obésité et de protéger les populations des supposés « risques » qui en découlent (voir Evans, Rich et Davies, 2004 ; Rich et Evans, 2005a). En fait, Wright et Harwood (2009) constatent que les biopédagogies exploitent la conception néolibérale de l’individualisme selon laquelle une personne serait à la fois capable et responsable de changer ses habitudes de vie par le biais de diverses techniques disciplinaires.

En bref, malgré ses ramifications complexes, le discours dominant sur l’obésité s’est principalement présenté sous les traits d’un soi-disant message universel : il faut faire plus d’exercice et manger moins. Ce message plein de bon sens ainsi que ses prémisses néolibérales ont été répétés ad nauseam et créé des « effets de vérité » (Foucault, 1980 : 237) non négligeables. L’impact de ce discours s’est fait sentir concrètement chez des femmes issues de milieux sociaux et culturels variés (Abou-Rizk et Rail, 2012 ; Burrows, 2009 ; Evans, Rich, Davies et Allwood, 2008 ; Harper et Rail, 2011a, 2011b ; Jette, 2006 ; Jette et Rail, 2013b ; Norman, Rail et Jette, 2014 ; Rail, 2009 ; Sykes, 2011 ; Wright, 2009) et il a ouvert la porte à un projet biopolitique important, que j’aimerais désigner ici par les termes « Clinique de l’obésité ».

Le présent article vise à retracer brièvement le terrain discursif fertile à la naissance de la Clinique de l’obésité (un clin d’œil à Foucault et son livre Naissance de la clinique). Pour se faire, je présente une série de huit « cartes postales » résumant le discours dominant sur l’obésité. Je discute ensuite de la naissance de la Clinique de l’obésité, notamment en mettant à jour les liens qu’elle entretient avec les discours biomédicaux, bioéconomiques et bioculturels. Finalement, je présente quelques réflexions sur la nature territorialisante de cette Clinique ainsi que sur ce qu’elle représente pour les femmes et pour la culture occidentale en général.

 

Les cartes postales sur l’obésité

Pourquoi ai-je choisi la métaphore de la carte postale pour analyser nos connaissances actuelles sur l’épidémie d’obésité ? Je conçois la carte postale comme une image simple et efficace qui prétend montrer la vérité d’un lieu à un moment précis, alors qu’en fait, elle propose une vision arbitraire d’une réalité particulière. Il s’agit d’une performance scénographique qui cache ces choses que nous préférerions ne pas voir ; un peu comme un fragment sec d’une réalité humide. La carte postale, par une incroyable simplification, condense un monde très complexe en une vignette toute simple : elle offre des raccourcis, des résumés, des clichés. Malgré tout, nombreux sont ceux qui se satisfont de la carte postale. Le problème, c’est qu’elle véhicule des informations qui, à force de répétition, deviennent des vérités pour plusieurs.

Dans les pages suivantes, j’aimerais suivre les traces de l’auteur français Michel Onfray (2010) et utiliser des cartes postales ainsi que des « contre cartes postales » pour étayer mon raisonnement. Mes contre cartes postales révèlent le caractère simple et arbitraire des cartes postales sur l’obésité. Elles ne prétendent pas être des « corrections » empiriques ou des représentations plus authentiques de la « Vérité » sur l’obésité, mais plutôt ma lecture tout à fait partiale et superficielle, j’en conviens, des cartes postales sur l’obésité. Je fais cet exercice dans le simple but d’ouvrir la porte à la contestation des cartes postales, de leurs postulats de base et de leur supposée objectivité.

Carte postale #1 : l’obésité est une maladie

Pour diffuser la carte postale décrétant que l’obésité est une maladie, il faut d’abord passer sous silence l’historique de la transformation de la corpulence en une « maladie » nommée obésité (voir Lyons, 2009 ; Oliver, 2005, 2006). À ces fins, il faut cadrer l’image de manière à voiler l’histoire de ceux qui ont réussi à faire de l’obésité une maladie et de ceux qui tirent profit d’une telle invention, à savoir les chercheurs scientifiques, les chirurgiens bariatriques et les entrepreneurs de l’industrie de la culture physique et de la perte de poids (voir Campos, 2004 ; Gard et Wright, 2005 ; Olivier, 2005).

La pensée scientifique dominante, véritable manufacture de cartes postales sur l’obésité, a adopté un langage spécifique et mis sur pied un programme politique dans le but de « sauver la nation » (voir Rail, Holmes et Murray, 2010). Le cadrage de cette image doit aussi s’éloigner de la gigantesque montagne formée par les compagnies d’assurances et par l’industrie pharmaceutique. En effet, l’étiquetage de l’obésité comme maladie ouvre la porte à un besoin de couverture en assurances pour des millions de personnes devant maintenant recevoir un « traitement contre l’obésité » (par exemple, une visite chez Weight Watchers ou au centre de conditionnement physique local), accélérant aussi le processus d’approbation de nouveaux médicaments pour la perte de poids (Gaesser, 2009 ; Lyons, 2009).

La contre carte postale, quant à elle, révèle la fascinante histoire des motivations pécuniaires de divers agents impliqués dans la construction de cette pensée dominante. Mundy a assigné le surnom d’« Obésité Inc. » (2001 : 12) à ce groupe de personnes en raison de sa médicalisation inutile de la corpulence, de son altération des statistiques sur les conséquences de la prise de poids, de son abstraction des réalités complexes que vivent les femmes corpulentes, de son détournement des rares ressources existantes et de son entrave aux efforts de santé publique (voir aussi Brownell et Horgen, 2003 ; Campos, Saguy, Ernsberger, Oliver et Gaesser, 2006 ; Herrick, 2007).

Dans cette histoire alternative, la science de l’obésité apparaît comme une toile où s’emmêlent les lobbies gouvernementaux, la recherche universitaire et ses commanditaires, l’industrie des services, les multinationales pharmaceutiques et agroalimentaires, les groupes juridico-légaux et l’industrie de l’assurance qui profitent tous de la construction discursive de l’obésité comme maladie. Par exemple, la contre carte postale révèle que de nombreuses études sur l’obésité ont bénéficié d’un financement important de la part d’industries pharmaceutiques et d’autres industries centrées sur la perte de poids. De plus, elle laisse poindre le fait que bon nombre de chercheurs sont aussi à la tête de cliniques de perte de poids ou ont un intérêt économique à élargir le plus possible les paramètres qui définissent un poids « malsain ».

Je ne cherche pas à exclure l’idéologie ou les chercheurs partiaux de la science. La science, à mon avis, sera toujours partiale. Il s’agit plutôt de démontrer les biais qui existent dans la science de l’obésité. La contre carte postale peut ainsi recontextualiser l’obésité et la présenter non pas comme un simple « fait scientifique » ou comme une condition corporelle fixe, mais plutôt comme un processus par lequel des normes (par exemple, les normes reliées à l’indice de masse corporelle ou IMC) donnent à la corpulence le nom de « pré-obésité » (le terme qu’utilise l’OMS lorsque l’IMC se situe entre 25 et 30) ou d’ « obésité » (c’est-à-dire quand l’IMC est supérieur à 30, selon l’OMS). L’obésité se révèle donc comme une réitération des normes de l’IMC telles que construites par les tenants de la science de l’obésité.

La contre carte postale considère l’obésité en tant que construction linguistique instable puisqu’elle fonctionne par l’établissement de limites et donc par la détermination d’une zone d’ « abjection »[3] . Dans cette zone se trouvent les IMC associés au corps malsain, raté, abject ou encore maladivement obèse. Or, cette zone d’abjection se déplace considérablement selon l’époque et le lieu : ce ne sont pas tous les pays qui s’entendent sur les limites de l’IMC (par exemple, dans de nombreux pays d’Asie, le seuil d’obésité a été réduit, passant d’un IMC de 30 à 25) et la justesse de l’IMC varie selon l’âge (par exemple, l’IMC est utilisé différemment pour les enfants et les adultes). Le déplacement de la zone d’abjection (entre individus, temps et lieux) a parfois contribué à une prétendue augmentation du taux d’obésité. Par exemple, aux États-Unis, 25 millions d’individus ont été déplacés de la catégorie « saine » à celle de l’ « embonpoint » à cause d’une réduction de la limite de l’IMC de 27.8 à 25 en 1998 (voir Lyons, 2009).

En bref, la contre carte postale ne présente pas l’obésité comme un fait scientifique mais plutôt comme un « effet » discursif du discours dominant sur l’obésité. Comme le suggère Boero (2007), les représentations de la grosseur, négativement construites dans le discours populaire, produisent l’obésité plus qu’elles ne la décrivent. En parallèle, c’est le diagnostic d’obésité, établi par les professionnels de la santé, qui fait des individus corpulents des personnes « malades » (même si elles sont par ailleurs en santé). Effectivement, quoique l’IMC ne convienne pas au diagnostic individuel (il a été conçu uniquement pour l’étude des populations), les professionnels de la santé en viennent à s’appuyer sur son apparente autorité numérique pour émettre un diagnostic d’obésité (quand l’IMC est supérieur à 30).

 Pour reprendre les mots de Butler, le diagnostic de l’obésité est un « acte performatif » (1993 : 171). Il s’agit d’un discours qui fait autorité, maintenu en place par des règles (autour du pouvoir de diagnostic des professionnels de la santé, de l’OMS), par des discours sociaux dominants (sur l’obésité et la santé) et par des normes (ex. : l’IMC). Les déclarations diagnostiques sont performatives (c’est-à-dire, les mots créent un effet) plutôt que constatives (c’est-à-dire, les mots décrivent quelque chose). En effet, l’énoncé diagnostique (par exemple, « vous êtes obèse » ou « vous souffrez d’obésité ») met en lumière le pouvoir du discours et produit le phénomène (l’obésité) que ce discours tente de réguler. La contre carte postale nous incite, en bout de compte, à réfléchir sur le paradoxe d’un processus discursif visant à promouvoir la santé, mais qui amène de plus en plus de gens à se penser malades.

 

Carte postale #2 : l’obésité est directement reliée à des problèmes de santé

La deuxième carte postale assimile l’obésité aux problèmes de santé. Il s’agit d’une carte postale extrêmement populaire car au cours des vingt dernières années, le nombre d’études mettant en lien l’obésité et la morbidité ou la mortalité a véritablement explosé (pour un aperçu, voir Gaesser, 2003c ; Gard et Wright, 2005 ; Lenz, Richter et Mülhauser, 2009 ; Mark, 2005). Ces études et leur diffusion dans les médias ont mené à une carte postale qui met de l’avant une relation linéaire entre obésité et santé : il existerait un lien causal, direct et puissant entre l’IMC et les taux de morbidité et de mortalité.

La contre carte postale présente une image bien différente, c’est-à-dire celle d’une relation complexe, en forme de U, qui révèle l’impact négatif que peuvent avoir sur la santé un poids trop bas (ex. : l’anorexie) ou un IMC extrêmement élevé mais aussi extrêmement rare. Entre ces deux points, on constate le peu d’impact de l’IMC sur la morbidité (Campos et al., 2006 ; Flegal, 2010 ; Gaesser, 2003c, 2006 ; Oliver, 2006 ; Lenz, Richter et Mülhauser, 2009 ; Lloyd-Jones et al., 2009) ou sur la mortalité (Farrell, Braun, Barlow, Cheng et Blair, 2002 ; Flegal et Graubard, 2009 ; Flegal, Graubard, Williamson et Gail, 2005 ; Gaesser, 2003b ; Mark, 2005). Les conséquences apparemment négatives de l’embonpoint ou de l’obésité n’ont pas seulement été exagérées par ceux que Monaghan, Hollands et Pritchard appellent les « entrepreneurs de l’obésité » (2010 : 37), mais ont souvent été carrément fabriquées (Evans et al., 2008).

Aux États-Unis, par exemple, le Centre National des Statistiques de la Santé (2008) a clairement démontré que malgré l’augmentation de l’incidence d’obésité, les taux de mortalité en général tout autant que les taux de mortalité dus à une coronaropathie ou à une crise cardiaque ont diminué au cours des dernières décennies. Pour expliquer ce paradoxe, Gaesser (2009) croit que les études démontrant un lien entre un IMC élevé et une mauvaise santé n’incluent pas dans les analyses d’autres variables importantes qui influent sur cette relation (par exemple, le statut socioéconomique, l’activité physique, le cycle du poids, l’usage de médicaments contre la prise de poids). Selon Oliver (2005), c’est comme si on blâmait les dents jaunes (plutôt que le fait de fumer) pour le cancer du poumon. Alors que certaines études lie l’obésité aux maladies cardiovasculaires, Oliver et d’autres chercheurs (Gaesser, 2003c ; Campos et al., 2006 ; Ernsberger, 2009) portent un regard critique sur ces études et remarquent plutôt que le statut socioéconomique est un indice important de maladie cardiovasculaire quel que soit le poids. Selon eux, les grosses personnes sont souvent en mauvaise santé car elles sont souvent pauvres.

La contre carte postale déconstruit aussi les études qui affirment que l’obésité a une influence sur le taux de mortalité (Farrell et al., 2002, 2005 ; Gaesser, 2003b ; Mark, 2005). Elle démontre plutôt qu’il n’y a pas de conséquence ou, au contraire, qu’il existe un léger avantage au fait d’être enrobé, particulièrement pour les femmes et surtout pour celles qui sont plus âgées (pour un aperçu, voir Oliver, 2006).

En bref, le lien entre l’IMC et les problèmes de santé apparaît comme grossièrement exagéré. Les observations de Burgard (2009) indiquent que dans les études portant sur ces enjeux, la plus forte corrélation que l’on puisse trouver est r = .3. Puisque cette statistique corrélationnelle doit être mise au carré, on en vient à la conclusion qu’au plus, 9% des problèmes de santé peuvent être liés à l’IMC. La contre carte postale en dit long sur le postulat de base du discours dominant sur la santé. Bien sûr, l’objectif ici n’est pas de restaurer la « vérité » et de produire une liste d’études et de statistiques qui contredisent celles qu’on entend habituellement. Mais la contre carte postale permet de suggérer la prudence face à une crise de santé construite de façon discursive et sur la base d’une version simplifiée (comme une carte postale) d’une réalité qui semble beaucoup plus complexe.

 

Carte postale #3 : l’obésité est en lien direct avec le style de vie

Au cours des cent dernières années, les études ont été concentrées sur les causes de la corpulence, invariablement expliquée par un modèle mécanistique. Sans surprise, la carte postale qui ressort de ce type de recherche se focalise sur la supposée relation entre la sédentarité, la mauvaise alimentation et l’obésité. Ce modèle fondé sur le style de vie s’ancre profondément dans l’idée du choix individuel : on choisit un style de vie ou un autre et, donc, on choisit d’être grosse ou pas. Par conséquent, une des critiques les plus convaincantes à l’endroit de la carte postale qui porte sur le style de vie révèle comment celle-ci occulte l’influence des conditions sociales et économiques sur les choix que les femmes sont en mesure de faire au plan de leur style de vie. Le statut socioéconomique ayant plus d’influence sur l’IMC que tout facteur lié au style de vie (voir la revue des études qu’en a fait Ernsberger, 2009), nous pouvons conclure que cette carte postale tend à désocialiser l’obésité.

La contre carte postale raconte une histoire bien différente car elle tente de resocialiser la compréhension de la corpulence et de la santé en mettant en évidence d’importants phénomènes comme l’effet d’appauvrissement qui résulte de la grosseur (par exemple, la stigmatisation et la discrimination ou encore l’impact sur l’éducation, l’emploi, le salaire et les soins médicaux) ; l’impact sur la santé que peut avoir le fait de vivre dans un quartier pauvre (par exemple, plus de pollution et de bruit, accessibilité réduite à une nourriture de qualité ou à des activités physiques extérieures sécuritaires) ; et la discrimination supplémentaire que subissent les femmes corpulentes racisées ou appartenant à d’autres minorités sociales (Boero, 2009 ; Cohen et al, 2005 ; Ernsberger, 2009 ; Lang et Rayner, 2007 ; Phul et Brownell, 2001 ; Sykes et McPhail, 2011).

Goldberg (2009) émet l’hypothèse suivante : si l’embonpoint cause réellement des problèmes de santé (en insistant sur le « si », car le lien causal entre l’embonpoint et la maladie est fortement mis en doute), et si les mauvaises habitudes de vie sont à l’origine de la corpulence, la solution apparente serait donc de réglementer ces habitudes de vie (par exemple, inciter les gens à être actifs, réglementer les cafétérias d’école, exiger des menus qui offrent l’information calorique des aliments). À l’opposé, si on considère les conditions sociales et économiques comme causes de la corpulence, les solutions proposées devraient davantage viser à améliorer ces conditions qui engendrent les mauvaises habitudes de vie.

À l’encontre des considérations socioculturelles, les messages médiatiques qui prédominent aujourd’hui sont dépourvus de complexité, centrés sur l’individu et de nature à dévaloriser ou exclure les considérations sur l’influence des facteurs sociaux sur la corpulence (Rich et Evans, 2005b). En somme, une bonne manière de subvertir la carte postale sur le « style de vie » est de tenir compte de la complexité de l’étiologie et du contexte de la corpulence.

 

Carte postale #4 : l’obésité est une question de responsabilité personnelle

À force de faire circuler la carte postale qui désocialise l’obésité, il n’est pas surprenant que celle-ci en vienne à être vue principalement comme une question de responsabilité personnelle. Le langage néolibéral de la responsabilité individuelle atteint massivement la population et les messages des « entrepreneurs de l’obésité » tendent à se centrer sur le risque individuel pour la santé plutôt que sur le risque collectif (Evans, Rich et Davies, 2004 ; Herrick, 2007 ; McDermott, 2007 ; Ross, 2005 ; Saguy et Gruys, 2010). S’ensuivent de nombreuses aberrations présentes dans les médias de façon quotidienne. Par exemple, utilisons les données d’une étude menée par Gelber et ses collègues (2008) qui rapporte les mesures de l’obésité et du risque cardiovasculaire chez 32 700 femmes américaines. Cette étude révèle que chez les femmes plus âgées, 414 incidents cardiovasculaires sont survenus après 5.5 années (174 infarctus du myocarde non fatals, 182 ischémie myocardique non fatales et 58 incidents cardiovasculaires fatals). À l’aide des chiffres fournis par Gelber et ses collègues, on peut estimer le risque d’incident cardiovasculaire à la probabilité que dans une population comparable de 7 478 femmes dites « obèses » (IMC de 30 ou plus) et 25 222 femmes dites « non obèses » (IMC de moins de 30), il y aurait environ 120 et 294 incidents respectivement (environ 16 femmes obèses sur 1000, et 12 femmes non obèses sur 1000). Le risque relatif (RR) serait de 16/12, ou d’environ 1,4 pour 1. Dans les médias, malheureusement, c’est la version carte postale de la réalité qui nous est le plus souvent proposée : nous y entendrions probablement qu’une femme obèse court 140% plus de risques de souffrir d’un incident cardiovasculaire. Il s’agit d’une statistique terrifiante.

Pour continuer le même exemple, la contre carte postale permet de remettre en question cette interprétation des données qui implique une notion de risque individuel puisque la statistique nous permet de conclure sur le seul risque populationnel. Une interprétation alternative des données nous apprend aussi que moins de 3 femmes obèses sur 1000 (16 femmes en 5.5 années) vivent un incident cardiovasculaire chaque année. Cette statistique est moins effrayante, particulièrement quand on tient compte du fait qu’une large majorité de ces incidents cardiovasculaires (86% dans l’exemple donné) ne sont pas fatals. La contre carte postale recadre aussi l’attention sur le fait que pour conclure à un effet significatif de l’obésité sur l’occurrence d’incident cardiovasculaire, il faudrait être en présence d’un nombre plus élevé d’incidents cardiovasculaires et d’une énorme différence entre les deux groupes (par exemple, plutôt qu’un ration de 1.4 pour 1, quelque chose de beaucoup plus élevé comme 10 pour 1 ou encore de 30 pour 1, comme c’est le cas quand on compare le risque de cancer du poumon chez des groupes de fumeurs et de non-fumeurs).

La contre carte postale complète mettrait en lumière le contexte spatio-temporel d’où émerge la présente formation discursive qui met l’accent sur la responsabilité personnelle et le risque individuel face à l’obésité. L’émergence de la « crise » associée à l’obésité a été documentée par Boero (2007) comme une manière d’individualiser les problèmes de santé à une époque où est démantelé l’état providence et où l’accessibilité aux soins de santé et au filet de sécurité sociale sont en train de disparaître. Bien sûr, l’effet négatif de cette « restructuration néolibérale »[4] [4] se fait davantage sentir chez les femmes défavorisées ou marginalisées pour leur grosseur ou leur appartenance à une minorité sociale (Evans, Rich et Davies, 2004 ; Herrick, 2007). Les explications individuelles (en version carte postale) aux problèmes d’envergure populationnelle ont la cote en cette époque d’inégalités sociales croissantes.

 

Carte postale #5 : nous faisons face à une épidémie mondiale d’obésité

La carte postale qui prétend que nous avons affaire à une épidémie mondiale d’obésité est sans aucun doute la plus répandue et la plus épeurante. Cette carte postale se fonde dans le discours dominant sur l’obésité et alimente son pouvoir biopolitique par le déploiement de la notion d’ « épidémie ». Au cours des dix dernières années, la carte postale de l’épidémie d’obésité a été largement diffusée. L’argument principal va comme suit : la crise d’obésité touche un nombre croissant de pays et nous menace d’une catastrophe de santé mondiale (OMS, 2003).

En remettant en question la signification médicale d’une augmentation de poids dans de nombreux pays au monde, la contre carte postale attire notre attention sur les changements rhétoriques qui ont propulsé l’obésité sur la scène médicale mondiale. Comme le souligne Gard  :

« Ce qui a changé vers 2000, c’est la rhétorique. Presque du jour au lendemain, l’obésité a été mise au rang des contagions et infections reconnues ; d’un inconvénient peu dangereux, elle a été transformée en un tueur agile. Des chercheurs médicaux, apparemment dignes d’estime, ont tenté de prouver que l’obésité se transmettrait d’une personne à l’autre et, qu’avec le temps, elle réduirait l’espérance de vie et causerait la même dévastation que la peste, les bombes terroristes, la hausse du niveau de la mer et l’extinction en masse de certaines espèces. En tant qu’épidémie, l’obésité se trouvait soudainement au sein de cercles rhétoriques tout à fait nouveaux. Une simple tournure du langage l’a extirpée des enjeux médicaux de second ordre comme le pied d’athlète et le mal de dos, et lui a donné sa place dans les ligues majeures aux côtés du SIDA, du cancer et des maladies du cœur."(ard 2011 : 1)

Il ne fait aucun doute que par le biais de l’utilisation de la peur et de la panique, la science traditionnelle et la recherche sur l’obésité ont su acquérir une certaine authenticité et validité. Miah et Rich (2006) ont bien exposé le caractère médicalement et socialement autoritaire du discours sur l’épidémie d’obésité qui a permis la mobilisation et la distribution de ressources et a justifié l’instauration de tactiques de surveillance et de réglementation.

 

Carte postale #6 : quand il s’agit de traiter l’obésité, les experts sont les meilleurs

Les chercheurs et cliniciens du domaine de l’obésité, grâce aux effets discursifs du discours sur l’obésité et à la stratégie rhétorique d’une épidémie catastrophique d’obésité, sont parvenus à faire circuler une autre carte postale. Celle-ci affirme sans équivoque que ces experts connaissent la « vérité » de l’obésité et qu’ils ont l’autorité morale et intellectuelle pour l’étiqueter comme maladie et pour prescrire les traitements nécessaires.

La contre carte postale nous permet de voir les choses différemment. En reprenant la formulation foucaldienne du « confessionnal » (1976), nous pouvons réfléchir à la répétition des discours dominants par une figure d’autorité qui discipline les sujets, les force à obéir à un régime de vérité et les incite à prendre part au processus menant au « salut ». Pour Foucault, le confessionnal moderne est semblable au confessionnal chrétien en ce sens qu’il cherche à soulager ses sujets du poids de leurs errances tout en les maintenant dans les confins de son système de croyances. Par contre, le confessionnal chrétien, à la différence du confessionnal moderne, n’est pas lié à une Église mais plutôt à des savoirs/pouvoirs. De la même manière que la pénitente cherche le salut par le biais du prêtre, la patiente cherche à être guérie par le psychologue ou le psychiatre. En utilisant une mécanique biopédagogique similaire à celle des « confessions de la chair » de Foucault (1976), je soutiens que les femmes corpulentes sont aussi incitées à s’engager dans des pratiques confessionnelles afin d’être secourues, réhabilitées et sauvées.

Comme j’en ai fait la démonstration plus en détail ailleurs (Rail et Lafrance, 2009), le salut des sujets se fait en trois étapes : d’abord, un confesseur autorisé doit soutirer une « confession » d’obésité ; ensuite, il faut qu’il y ait une conversion à la vérité du discours dominant sur l’obésité ; finalement, l’expert doit programmer une « nouvelle vie » pour le sujet dès lors qualifié d’obèse. Les spécialistes de l’obésité sont réputés connaître la « vérité » de l’obésité et, en tant que confesseurs, ils sont autorisés à poser un « regard clinique » (Foucault, 1963) sur les femmes corpulentes.

Pendant la rencontre confessionnelle, femme enrobée est souvent vue simplement comme un objet forcé à se révéler ; le regard clinique du confesseur nie la subjectivité de la femme qui se confesse. En effet, le confesseur n’a pas besoin d’interagir avec un sujet pensant. Plutôt, le corps rond apparaît et parle de lui-même : l’ « obésité » est confessée par le corps, c’est-à-dire que le corps « offre » sont IMC sous le regard clinique du confesseur. Émerge alors le besoin de conversion : le confesseur (plus souvent un homme « expert ») doit convaincre le sujet (plus souvent une femme corpulente) de la vérité du discours sur l’obésité. Après avoir convaincu le sujet de cette vérité, le confesseur est en position de la convaincre que lui, en tant qu’expert, en sait plus qu’elle, et qu’elle doit changer son style de vie et modifier la trajectoire de son corps, de ses besoins, de ses désirs et de sa vie.

L’autorité et la stratégie discursive du confesseur résident au cœur même de la conversion du sujet : elles justifient grandement les raisons pour lesquelles le sujet en vient à croire ces « vérités » sur son propre corps et à adopter un comportement conforme à celles-ci. Le confesseur convertit le sujet en mettant sa prétendue objectivité scientifique au service d’un projet de « déterritorialisation » et de « reterritorialisation » (Deleuze et Guattari, 1980). Selon Deleuze et Guattari, la territorialisation se conçoit comme les forces du social empiétant sur les individus et construisant les subjectivités via un acte interprétatif. Toute inscription par les forces du social est une déterritorialisation du territoire et une reterritorialisation d’un nouveau motif. Par exemple, le capitalisme déterritorialise les produits et en fait des marchandises ; il reterritorialise le travail pour en faire un salaire. Dans le cas présent, nous pourrions dire que le confesseur déterritorialise la femme enrobée en fonction du discours normatif sur l’obésité et la reterritorialise comme personne « obèse » et « malade ». Finalement, le projet de déterritorialisation et de reterritorialisation par le confesseur vise à faire du corps du sujet un corps « ferme », « docile » et productif plutôt que mou, ingérable, déviant et improductif.

Dans le contexte d’une contre carte postale, l’idée foucaldienne du confessionnal constitue une manière utile d’explorer comment le sujet corpulent est construit au sein d’une variété de pratiques énonciatives. En particulier, elle nous permet d’examiner plus en profondeur comment le diagnostic d’obésité offert par un expert conditionne la compréhension qu’une femme peut avoir d’elle-même. Elle démontre de plus à quel point l’obésité n’est pas simplement communiquée mais plutôt matérialisée lors d’une confession (physique) soutirée par un expert. Dans le cas de l’obésité, donc, la rencontre confessionnelle est performative (Butler, 1993) : elle crée ce qu’elle nomme.

 

Carte postale #7 : la perte de poids est la bonne prescription pour contrer l’obésité

De puissantes autorités (par exemple, OMS) réitèrent le discours dominant sur l’obésité et le lien entre l’obésité et l’escalade de morbidité et de mortalité. Comme résultat, une carte postale très populaire est celle selon laquelle la perte de poids est la meilleure prescription et qu’elle permettra d’améliorer la santé. Cette carte postale fait maintenant partie des guides cliniques (ACOG, 2005 ; IOM, 2009 ; Lau et al., 2007 ; NIH, 1998) et elle est circulée au sein des institutions sociales et des médias (Boero, 2007 ; Gard, 2009 ; Rich, 2010, 2011 ; Saguy et Almeling, 2008). Devant la rhétorique d’une épidémie imminente, les femmes sont encouragées à prendre les moyens pour se protéger et protéger ceux qui les entourent afin de prévenir la propagation de la « maladie ». Maintenir ou atteindre un poids « normal » devient non seulement une responsabilité personnelle, mais aussi un devoir de citoyenne. Dans un tel contexte, une pression sociale immense est mise sur les femmes qui ont un « excès » de poids. Comme l’écrit Murray (2008 : 9-10) :

« [… ]le citoyen responsable est, au sens propre comme au sens figuré, un citoyen actif. Afin de combattre la propagation de la maladie, qui caractérise une épidémie, les citoyens sont appelés à agir ; devant l’obésité, cette action comprend nécessairement la participation de l’individu à un programme strict de diète et d’exercice. […] Il est intéressant de constater, en conséquent, que les citoyens obèses sont le plus souvent perçus comme étant inactifs : en effet, c’est leur sédentarité qui est vue comme la cause de leur état maladif. [… Ils] sont dépeints de cette manière comme des êtres récalcitrants, inconscients ou irrespectueux de leur devoir citoyen de contrôler leur maladie. »  

À l’encontre de cette version carte postale de l’obésité, certains auteurs ont dénoté combien activement les gens sont engagés dans l’effort de perte de poids. Aux États-Unis seulement, Gaesser (2009) a estimé à 85 millions le nombre d’individus qui tentaient de perdre du poids en 2005. De plus, Chou, Saffer et Grossman (2004) ont émis l’hypothèse que l’arrêt de l’usage du tabac pouvait être à l’origine d’une bonne partie du gain de poids dans la population, ce qui contredit la supposition qu’un gain de poids équivaut nécessairement au laxisme moral, à l’absence d’exercice physique, au manque d’effort pour améliorer la santé ou à un signe annonciateur du déclin général de la santé.

Mais le fait que la perte de poids soit massivement prescrite pour contrer l’obésité et qu’une tranche importante de la population s’y engage n’a rien de très réjouissant. Premièrement, les chercheurs suggèrent que la perte de poids n’est ni efficace (Lyons, 2009), ni permanente (Gaesser, 2009) car il n’existe présentement aucune méthode qui permette de perdre du poids et de maintenir le poids réduit à long terme. À cet effet, Brownel dit de l’obésité qu’elle rend « humble » car « certains des plus brillants chercheurs ont tenté de traiter l’obésité, mais aujourd’hui, après des décennies de recherche, les gains résultant des traitements demeurent minuscules, le maintien de la perte de poids est faible et les effets produits se situent bien en deçà des attentes ou des désirs des patients » (2010 : 717). Deuxièmement, les professionnels qui prescrivent des traitements doivent prendre la responsabilité des soins médicaux de leurs patients et du contrôle de l’efficacité et de la sécurité des traitements. Dans le cas de l’obésité, cependant, malgré que la perte de poids soit le traitement préféré, l’efficacité terriblement limitée s’ajoute à la tendance à en minimiser les risques et les échecs (Lyons, 2009). Troisièmement, les écrits de Boero (2007) révèlent la normalisation, la publicisation et la prescription excessives de chirurgies pour la perte de poids, lesquelles comportent de grands risques et ont été conçues uniquement pour des cas extrêmes. Somme toute, nous pouvons nous demander si les traitements prescrits aux femmes corpulentes répondent réellement à une volonté d’améliorer la santé ou s’ils ne servent pas plutôt le désir de discipliner et normaliser les corps.

Selon Campos et ses collègues (2006), puisqu’il demeure impossible d’étudier la perte de poids à long terme dans une cohorte significative au plan de la recherche, l’affirmation selon laquelle la perte de poids à long terme améliore la santé demeure invérifiable. Cependant, ce qui devrait paraître dans la contre carte postale, ce sont les conclusions suivantes : la diminution du taux de mortalité est la même chez les personnes qui essaient de perdre du poids sans y parvenir que chez celles qui y parviennent (Gregg et al., 2004) et la perte de poids augmente la proportion du risque de mortalité alors que chez les personnes dites « obèses » et dont le poids est stable, cette proportion n’augmente pas (Diaz et al., 2005). De plus, les chercheurs ont découvert que la plupart des stratégies pour perdre du poids présentent de sérieux effets secondaires et mènent potentiellement à des pratiques malsaines comme une instabilité cyclique du poids (Campos, 2004 ; Stice et al., 1999), des troubles alimentaires (Clift et Wright, 2010 ; Evans, 2006 ; Rich et Evans, 2005a, 2005b), ainsi qu’une mauvaise image corporelle, une faible satisfaction face à son corps et une mauvaise estime de soi (Beausoleil, 2009). La carte postale #7 culpabilise les femmes et détourne notre attention du constat que la perte de poids ne réussit pas à améliorer leur santé.

 

Carte postale #8 : cibler les femmes est un élément clé pour combattre l’obésité

Cette dernière carte postale est intéressante car elle nous donne un indice sur la nature du projet biopolitique associé à l’obésité. Malgré que les hommes et les femmes soient « à risque » de devenir « obèses », les travaux de Boero (2007) démontrent adroitement comment les femmes ont toujours été la cible première des industries cosmétique et de la perte de poids, et comment elles sont tenues de respecter des standards corporels beaucoup plus étroits que ceux imposés aux hommes. Bordo (1993) et plusieurs autres féministes (par exemple, Bartky, 1990 ; Braziel et Lebesco, 2001 ; Garland-Thomson, 2005 ; Grosz, 1994 ; Murray, 2007) ont bien décrit les mécanismes biopédagogiques qui sous-tendent le maintien de normes féminines oppressives. Aujourd’hui, ces normes sont ouvertement justifiées par la rhétorique sur l’épidémie d’obésité et ses préoccupations de santé publique.

La contre carte postale lève le voile sur de telles tactiques néocoloniales et nous incite à porter un regard sur les questions de genre, de race et de classe sociale en lien avec la corpulence. Aphramor et Gingras (2009) ont documenté la disparition du discours féministe du domaine de la diététique et ont démontré comment des compréhensions consuméristes et décontextualisées de la santé et de la corpulence cachent les enjeux de pouvoir et de genre. Ces chercheures soutiennent que le genre et la race sont importants car les femmes (et particulièrement les femmes racisées) sont souvent plus enrobées et plus souvent victimes de préjudices, alors que les chercheurs dans le domaine de l’obésité et les « experts » en santé sont plus souvent des hommes blancs et minces.

La genrification de la corpulence s’observe aussi lorsqu’il est question du corps des femmes et de leurs capacités de procréation (Bell, McNaughton et Salman, 2009 ; Warrin, Turner, Moore et Davies, 2008). Selon Jette et Rail (2013a), le processus se met en branle très tôt, la grossesse ayant récemment été identifiée comme un facteur majeur dans l’épidémie d’obésité. Dans cette nouvelle façon de « blâmer les mères », certains avancent que les femmes font déjà trop d’embonpoint au moment d’entamer leur grossesse, qu’elles prennent trop de poids pendant la grossesse et qu’elle ne parviennent pas à perdre le surpoids après la naissance de leur enfant (Catalano, 2003 ; Murphy Paul, 2008 ; Reece, 2008 ; Symonds et Garner, 2006). En profitant de la vague de la rhétorique sur l’épidémie d’obésité, des chercheurs ont écrit sur « le cycle vicieux de l’obésité maternelle et infantile » (Catalano, 2003 : 3505) qui « s’accentue rapidement » (Reece, 2008 : 23). L’anxiété est telle que les organismes médicaux (par exemple, IOM, 2009 ; NIH, 1998 ; SOGC, 2010) conseillent aux femmes « de se mettre en forme et d’avoir un IMC normal avant de penser à devenir enceinte » (Davies, Maxwell et McLeod, 2010 : 172).

La nouvelle forme d’eugénisme n’est pas sans rappeler que les femmes et les mères racisées sont aussi identifiées comme cible d’intervention. Boero (2009) a observé que les femmes (particulièrement celles qui sont pauvres ou racisées) sont ciblées comme point d’entrée dans des cultures vues comme « obèsogènes » et comme facteurs potentiels de prévention de l’obésité. Les femmes défavorisées et racisées portent le blâme car elles sont perçues comme celles qui transmettent de « mauvaises » habitudes alimentaires à leurs enfants et comme les agentes de la reproduction de cultures « malsaines ». Boero en vient à la conclusion que dans une telle perspective raciste et néocolonialiste, les interventions ciblent des cultures « ethniques » caricaturées de façon simpliste et essentialiste, alors que les perspectives qui tiendraient compte des déterminants sociaux de la santé sont complètement négligées.

 

La naissance de la « Clinique de l’obésité »

Si je fais un résumé des cartes postales décrites jusqu’ici, le message suivant ressort : 1) l’obésité est une maladie ; 2) les femmes choisissent d’être obèses ; 3) l’obésité cause des problèmes de santé ; 4) les femmes « à risque » doivent être contrôlées ; 5) surtout en période d’épidémie ; 6) il faut écouter les experts ; 7) nous devrions donc suivre leurs prescriptions pour la perte de poids ; et 8) cibler les femmes, particulièrement si elles sont pauvres ou racisées. Ces cartes postales et leurs messages sont si omniprésents qu’ils font maintenant partie de notre imaginaire et exigent la naissance d’une « Clinique de l’obésité ». J’ai choisi d’utiliser cette expression en hommage aux travaux de Foucault (1994), mais le manque d’espace m’empêche ici de m’engager dans une archéologie foucaldienne. Cependant, j’aimerais démontrer que la naissance de la Clinique de l’obésité peut être comprise à partir du point de convergence de trois phénomènes plus larges : la biomédicalisation, la bioéconomie et les discours bioculturels entourant l’obésité [5].

En ce qui concerne la biomédicalisation, Murray et ses collègues (2007) ont démontré que les industries des soins de santé et de la recherche en santé constituent un système complexe mêlé à d’innombrables agences, organisations, établissements universitaires, commanditaires de recherche, entités publiques ou privées, industries pharmaceutiques, compagnies d’assurance, lobbies gouvernementaux, pour ne nommer que ceux-ci. Pour une femme ordinaire, ce système peut paraître incompréhensible, sinon carrément impraticable, et il n’est pas exagéré de croire qu’elle peut s’y perdre complètement, assujettie à sa « discipline » (Foucault, 1975). Les points multiples d’influence et de contrôle ne constituent pas seulement une expansion ou une réticulation de l’autorité et des pratiques médicales dans de nouveaux domaines ; mis ensemble, ils représentent une nouvelle manière d’interpréter la relation entre la médecine, la santé et la vie elle-même (Murray et al., 2007). Je veux donc emprunter des notions développées par Clarke et ses collègues pour appeler ce phénomène « biomédicalisation » (Clarke, Shim, Mamo, Fosket et Fishman, 2003). La biomédicalisation se caractérise par les nouvelles valences politiques et économiques de la biomédecine, l’augmentation de la surveillance du risque et la médicalisation des facteurs de risque, pour ne nommer que quelques éléments.

Du deuxième phénomène, la bioéconomie, nous pouvons dire qu’il résulte d’une schématisation du processus d’intégration homogène de la biomédicalisation dans l’économie politique néolibérale. À leur tour, les discours politiques économiques néolibéraux s’alimentent aux discours biomédicaux tout en les complétant. Ces deux types de discours (c’est-à-dire, bioéconomique et biomédical) prônent une plus grande efficacité et une meilleure économie en contexte de ressources publiques en déclin et de forte hausse des coûts de soins de santé. Ils sont diffusés par un groupe d’influence composé de chirurgiens bariatriques, de médecins et praticiens spécialisés en perte de poids, de chercheurs dans le domaine de l’obésité, de pédagogues en santé publique, de représentants de compagnies pharmaceutiques, de propriétaires de compagnies d’assurance et d’autres travailleurs associés à la manufacture de l’obésité. Dans les discours biomédicaux et bioéconomiques, la femme devient une productrice-consommatrice en ce sens qu’on l’imagine produisant la minceur et la santé qu’elle pourra ensuite « consommer ». Dans un régime néolibéral, l’auto-amélioration de la femme devient un devoir moral envers soi et envers tous (Miller et Rose, 2008). La femme « pré-obèse » ou « obèse » accumule une dette sociale qu’elle doit rembourser en s’inscrivant dans des discours et des praxis compensatoires qui sont à la fois discursifs et corporels.

Le troisième phénomène, c’est-à-dire les discours bioculturels, est en lien avec les deux premiers car les discours biomédicaux et bioéconomiques fonctionnent ensemble afin d’influencer les perceptions culturelles du corps et de la santé. Les institutions universitaires, les conseils de recherche, l’industrie de l’assurance médicale, etc., tous adhèrent en bloc à des discours dominants provenant du monde des affaires. Ils adoptent une panoplie orwellienne comprenant le mantra du « client d’abord », les indicateurs clés de performance, les « input » et « output », les données probantes, la médecine fondée sur les preuves, les meilleures pratiques, les guides de pratiques cliniques et l’application des connaissances (Murray, Holmes et Rail, 2008).

Dans un tel système, les femmes-clientes sont incitées à se concevoir en termes entrepreneuriaux : leur relation avec leur propre corps et leur propre matériel génétique s’instaure en des termes instrumentalistes et économiques. Pensons ici au « biocapital » (Suder Rajan, 2006) ou à la tendance des « biobanques » (Mitchell et Waldby, 2010). En bref, les discours biomédicaux et bioéconomiques se joignent aux discours bioculturels pour orienter les perceptions populaires vers l’idée d’un corps acceptable (donc mince) et des façons convenables de comprendre son corps et de se comprendre soi-même. De tels bioprocessus nous invitent à une obéissance aveugle envers l’autorité scientifique, la « vérité » de la science, les éléments idéologiques, politiques et économiques du néolibéralisme, et la science-fiction de la corpulence comme maladie.

 

La Clinique de l’obésité : un appareil mondial de capture

En tant que projet biopolitique, la Clinique de l’obésité se livre à un effort mondial pour discipliner les populations et pour former de bons « biocitoyens » productifs (Halse, 2009). L’ampleur de ce projet requiert une nouvelle sorte de clinique et c’est pourquoi j’insiste sur l’usage d’une majuscule quand je parle de la Clinique de l’obésité. Cette Clinique n’est pas ordinaire. Ce que je veux démontrer, c’est qu’à cause de bioprocessus comme la biomédicalisation, la bioéconomie et l’immense diffusion de discours bioculturels, la Clinique de l’obésité peut être vue comme une clinique sans frontières. Cette clinique polymorphe a territorialisé nos salons et nos salles à manger, nos foyers, nos écoles, nos universités, nos espaces publics, nos médias. Grâce à la marchandisation des mesures préventives et des supposés « traitements » pour l’obésité, nous assistons à une cacophonie encore plus bruyante composée de voix qui font autorité et qui réitèrent le discours dominant sur l’obésité, répétant aux gens ce qu’ils doivent faire pour être minces et en santé.

Nous remarquons aussi une explosion du nombre d’individus qui s’accordent le droit de diagnostiquer l’obésité et de prescrire un traitement (par exemple, physiologistes, médecins, éducateurs physiques, kinésiologues, employés des centres sportifs ou de santé, entraîneurs, parents). Bien sûr, de nombreux (pseudo-)docteurs sans frontières ont été recrutés par les médias populaires. C’est le cas de nombreux films, magasines, hebdomadaires, journaux et programmes télévisés ; seulement aux États-Unis et au Canada, 53 émissions dramatiques portent sur le milieu médical. C’est le cas également d’autres émissions télévisées comme les nouvelles, les émissions pour enfants, les émissions de variété, les téléréalités, les émissions de « remake », ainsi que dans les publi-reportages sur la perte de poids ou la chirurgie bariatrique (Boyce, 2007; Campo et Mastin, 2007 ; Giles, 2003 ; Himes et Thompson, 2007 ; Holmes, 2009 ; Inthorn et Boyce, 2010 ; Kim et Willis, 2007 ; Robinson, Callister et Jankoski, 2008 ; Roy, Faulkner et Finlay, 2007 ; Saguy et Almeling, 2008 ; Saguy et Gruys, 2010 ; Whitehead et Kurz, 2008 ; Wilson, 2005 ; Ye et Ward, 2010).

En tant qu’entité mondiale qui s’imprègne partout, la Clinique de l’obésité utilise les biopédagogies et reproduit le discours sur l’obésité en y incluant de multiples points de collusion avec des entrepreneurs de l’obésité issus de divers milieux. Par exemple, le corps dit « obèse » est exposé et tourné en spectacle (Braziel et LeBesco, 2001) pour tenter de faire vendre une prétendue « solution » à l’obésité proposée par les industries de la mise en forme, de la diète, de la perte de poids, des pharmaceutiques, des cosmétiques et de la chirurgie bariatrique (Atkinson, 2008 ; Lyons, 2009 ; Monaghan, 2008 ; Rail et Lafrance, 2009).

Étant donné le mode de fonctionnement de la Clinique de l’obésité, nous pouvons la concevoir comme un « appareil de capture » (Deleuze et Guattari, 1980). En effet, comme les autres entités qui utilisent une mécanique biopédagogique reliée à la santé (voir Holmes et O’Byrne, 2010), la Clinique de l’obésité constitue un système d’ordre évasif et invisible. Le concept deleuzien d’appareil de capture pourrait susciter la vision d’un dispositif rigide assurant le contrôle par la force, mais il s’agit en fait d’une forme d’architecture sans structure (Patton, 2005) qui ouvre la porte à certains types de comportement en utilisant des voies sociales comme l’aversion pour le risque, le désir de responsabilité et l’aspiration à être (ou être vu) comme personne mature et morale (O’Byrne et Holmes, 2007). La Clinique de l’obésité est donc un système dans lequel les individus reproduisent, volontairement et pro activement, leur propre capture. Être obèse est marqué du stigmate de l’échec alors que le corps mince est reconnu comme reflétant les valeurs de contrôle, de vertu, de rationalité et d’autodiscipline propres au parfait sujet néolibéral.

 

La Clinique de l’obésité : réglementer l’abject

La Clinique de l’obésité a territorialisé notre environnement sémiotique et c’est sans surprise que tant de films (par exemple, The Nutty Professor, Norbit, Shallow Hal, Hairspray, Fat, Sick, et Nearly Dead) et d’émissions télévisées (par exemple, Nip/Tuck, Gray’s Anatomy, The Half-Ton Mom, Extreme Makeover: Weight Loss Edition, Village on a Diet, Heavy, More to Love, Drop-Dead Diva, Ruby, The 650-Pound Virgin, Huge, More To Love, Ruby, Drop Dead Diva, I Used to Be Fat, Fat Actress) collent à un scénario foucaldien et apportent des preuves de la thèse de Foucault (1975) selon laquelle la modernité et le pouvoir disciplinaire qui la caractérise concernent la gestion de la vie plutôt que la menace de la mort. Le pouvoir est appliqué sur les corps des femmes non pas pour les punir mais pour les secourir, les réhabiliter, et les sauver.

La formulation foucaldienne du confessionnal est tout aussi utile car elle permet de repenser de façon critique la façon de discipliner et les personnages et les spectatrices de ces émissions de télévision. La plupart de ces émissions se terminent bien, les protagonistes en viennent à développer de nouvelles habitudes de vie et à développer un corps ferme. Quelques émissions ne finissent pas si bien pour certaines protagonistes et offrent des « preuves » minutieusement construites pour démontrer que la résistance des protagonistes obèses au discours dominant sur l’obésité crée des conséquences extrêmement négatives pour elles. Ces personnages sont punis publiquement pour leur corps mou et leur mauvaise vie. De cette manière, certaines protagonistes corpulentes font face au pouvoir moderne et pré-moderne : elles sont à la fois disciplinées et punies.

Selon Ringrose et Walkerdine (2008), alors que de nombreux sites Internet, émissions télévisées et productions médiatiques travaillent à la confection d’une culture corporelle néolibérale, les femmes sont bien souvent la cible des projets biopolitiques d’amélioration corporelle. De nombreux auteurs ont remarqué que dans la production de la biocitoyenne, ce qui est produit correspond plus souvent qu’autrement à une féminité néolibérale bourgeoise mais dépeinte comme étant universelle, normale et accessible à toutes (Hey, 2005 ; Skeggs, 2005 ; Walkerdine et Ringrose, 2006 ; Ringrose et Walkerdine, 2008). Les caractéristiques bourgeoises féminines sont idéalisées et ensuite considérées normales par le biais d’un processus qui rend pathologique les femmes et les mères de la classe ouvrière. Ces femmes sont vues comme des menaces à l’ordre moral. En fait, les féminités indisciplinées sont marquées comme « abjectes » (Kristeva, 1982). L’abject menace la vie : il doit être radicalement exclu du corps et renvoyé au-delà d’une frontière imaginaire séparant le soi de ce qui menace le soi. En effet, comme le dirait Butler (1993), l’abject est une position « inhabitable » pour le sujet, provoquant la honte et le dégoût, sentiments qui se doivent d’être rejetés loin du soi et de l’identité.

Dans de nombreux autres exemples de notre culture populaire contemporaine, le dégoût opère par des processus d’abjection liés à la classe sociale. Les mécanismes en jeu participent à provoquer le dégoût envers les femmes de la classe ouvrière, particulièrement quand elles portent la marque de ce qui est perçu comme leur appartenance à cette classe, c’est-à-dire leur mode de vie (sédentaire), leur habillement (de mauvais goût) et leur chair (excessive). Mais l’abjection ne fait pas que maintenir des frontières et une régulation sociale. Selon Ringrose et Walkerdine, elle incite aussi au désir de transformation de soi : « En cette époque néolibérale d’individualisme, il y a une intensification de l’impératif psychologique à améliorer et à transformer le soi à travers des ressources fin prêtes, rendues disponibles par la culture de l’auto-amélioration qui domine la culture populaire » (2008 : 235). En effet, les experts offrent des conseils non seulement sur la manière de vivre, mais aussi sur la manière de mieux vivre, c’est-à-dire de vivre de façon optimale, efficace et productive (Rose, 1999). Le soi en difficulté peut choisir de demander conseil et, ce faisant, surmonter ses souffrances. Le soi est enfermé et propulsé dans un projet sur sa propre identité. Il en résulte un engagement du soi dans un processus qui dure toute la vie et qui comprend l’évaluation et l’amélioration du poids et de la santé, par le biais du contrôle et de la gestion, conformément aux options proposées par le marché.

L’idée du « relooking » n’est pas nouvelle, ni l’idée foucaldienne de salut par l’entremise de la confession et de la conversion à une nouvelle vie. Cependant, ces incitatifs se sont énormément intensifiés et ils contribuent à normaliser l’ethos néolibéral contemporain du soi en perpétuelle maximisation, amélioration et réinvention, mais d’une manière spécifique et intersectionnelle (c’est-à-dire, marquée simultanément par le genre, la classe, l’orientation sexuelle, le handicap, l’âge, la race, etc.). Cette réinvention du soi se joue de façon concomitante avec le drame entourant la question suivante : est-ce possible, pour les tenants de la connaissance bourgeoise blanche (codifiée comme « experte ») de transformer le sujet abject en un sujet convenable ? Skeggs a noté que si les émissions télévisées offrent souvent le récit d’une transformation, plusieurs d’entre elles en rejettent la possibilité par une trame narrative attestant le manque de goût, la culture « pathologique » (2005 : 976) et les « mauvais choix » (2005 : 974) des femmes. Le risque d’échec élevé et l’incertitude constante face à l’atteinte des objectifs permettent à des émissions comme Biggest Looser, Nip/Tuck, Extreme Makeover et de nombreuses autres de proposer aux téléspectatrices une fiction dramatique pleine de suspense et de demeurer parmi les favorites de la culture occidentale.

Conclusion

Dans cet article, j’ai suivi les traces de Michel Onfray (2010) et présenté une série de cartes postales dans le but de résumer le discours dominant sur l’obésité et parler de ses effets discursifs sur les femmes. J’ai aussi proposé des contre cartes postales pour déstabiliser le régime de vérité et contester le postulat d’objectivité des cartes postales. Mon analyse de la Clinique de l’obésité a ensuite mis en lumière sa caractéristique de projet biopolitique visant à discipliner les femmes (surtout) et à en faire de bonnes biocitoyennes néolibérales. J’ai souligné combien la Clinique de l’obésité est maintenant un projet mondial dans le sens où elle territorialise les espaces que les femmes occupent et les expériences qu’elles vivent au quotidien. J’ai fait allusion à la présence inhérente, dans l’abjection de certains corps féminins par la Clinique de l’obésité, d’autres formes de marginalisation comme le racisme, le sexisme, l’hétérosexisme ou l’âgisme. Cela m’a amené à émettre l’hypothèse que la Clinique de l’obésité constitue un puissant « appareil de capture » soutenu par des discours bioculturels et les phénomènes de biomédicalisation et de bioéconomie. En guise de conclusion, j’aimerais offrir quelques commentaires.

Premièrement, je pense qu’il est crucial de développer un certain scepticisme face à la recherche traditionnelle sur l’obésité, aux différentes constructions sociales de la maladie de l’obésité et au déploiement d’une rhétorique sur l’épidémie imminente qui sert à discipliner les sujets, particulièrement les femmes et surtout celles qui sont racisées, issues de la classe ouvrière, mères ou appartenant à des communautés marginalisées. En associant le poids à la santé et en prescrivant la perte de poids ou en nous y investissant, nous sommes peut-être toutes et tous en train de créer la plus grande catastrophe iatrogénique de notre temps. Parallèlement, je pense que plutôt que de répéter le mantra de l’ « obésité » et du « poids », il serait plus efficace de déconstruire le modèle du style de vie et l’idée de la responsabilité individuelle en matière de santé. Cette déconstruction inclurait une méfiance en regard des solutions privatisées de niveau micro pour lutter contre un problème de santé publique, surtout lorsque de telles solutions sont promues par des acteurs qui s’attendent à en tirer profit (ex. : industrie pharmaceutique, Obésité Inc.). L’intérêt pour la santé et le bien-être devrait nous mener à cibler les plus grands déterminants (c’est-à-dire, sociaux) de la santé et à travailler avec les communautés pour créer des environnements sains et des changements socialement progressifs.

Deuxièmement, je crois que la Clinique de l’obésité est séduisante et paraît garantir un traitement adéquat des femmes, leur offrant les outils d’autosurveillance et d’autorégulation pour qu’elles puissent devenir des gestionnaires-entrepreneures dans le développement et le maintien de leur minceur et de leur santé. Cependant, les femmes sont de plus en plus aux prises avec les recherches et les industries de la nutrition, de la forme physique et de la santé, les systèmes de soins de santé et tout un ensemble d’autorités médicales ou administratives qui sont incrustés dans un régime qui restreint les femmes tout en prétendant vouloir les libérer (Miller et Rose, 2008 ; Novas et Rose, 2000 ; Rose, 2006).

Troisièmement, et pour terminer, j’estime que nous avons besoin de meilleures études sur les femmes et la corpulence. Nous nous devons de quitter le cercle fermé de la recherche qui interdit de penser autrement le corps et la santé. Nous devons resocialiser le corps et la santé. Il est nécessaire de transgresser les interprétations humanistes ou strictement discursives du sujet et d’examiner la façon dont l’agentivité se situe entre la liberté de choix et les « marionnettes discursives », pour reprendre l’expression de Hardin (2001 : 16). Nous devons oublier les questions comme : Ce corps est-il obèse ? Comment pouvons-nous faire maigrir ce corps obèse ? Plutôt, nous devons privilégier des questions comme : Comment se sont construites les vérités normatives autour de la corpulence ? Dans quels buts ? Comment les discours dominants produisent-ils certains sujets ? Comment les femmes catégorisées comme « pré-obèses » ou « obèses » négocient-elles ou refusent-elles ces positions subjectives ? Puisque le langage construit la réalité et le soi, comment les discours normalisateurs sur l’obésité peuvent-ils être mis en lumière et comment leur résister ? Comment les théories féministes, postcoloniales, queer ou celles du handicap peuvent-elles contribuer à repenser le corps, la corpulence et la santé ? Ces questions exigent que nous envisagions la recherche comme façon de bousculer les formations sociales existantes et comme toile de fond sur laquelle peuvent se dessiner des discours alternatifs contestant les notions actuelles de subjectivité, d’obésité et de santé.

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Mini-biographie

Geneviève Rail est professeure en Études culturelles de la santé des femmes et Directrice de l’Institut Simone-De Beauvoir à l’Université Concordia (Montréal, Canada). Sociologue de formation, elle a obtenu son doctorat de l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign (É.-U.) où elle s’est spécialisée en sociologie du corps et de la santé. Aujourd’hui professeure titulaire, Geneviève est connue en tant que critique féministe des institutions centrées sur le corps (e.g. industries et systèmes de « santé », médias) et favorise des approches féministes poststructuralistes, postcoloniales et queer pour étudier les femmes provenant d’un large éventail de contextes socioculturels, leurs pratiques de santé et leurs constructions discursives de la santé. Elle est l’auteure d’une centaine d’articles scientifiques ou de chapitres de livre (ses plus récentes publications sont disponibles ici). Présentement, elle réalise trois études subventionnées par les Instituts de recherche en santé du Canada et centrées sur les discours et les questions qui entourent l’obésité, la vaccination contre le virus du papillome humain (VPH), et les soins de santé pour les femmes lesbiennes, bisexuelles ou queer ainsi que les personnes trans vivant avec un cancer du sein ou gynécologique.

notes:
 

[1] Selon Foucault (2004a), une transformation dans l’exercice du pouvoir a eu lieu au cours du 18ème siècle avec la naissance du libéralisme. Foucault associe le libéralisme à une forme de gouvernement inspirée du modèle industriel, qui tente de maximiser son efficacité tout en minimisant ses coûts. La pensée libérale se concentre sur les populations et sur les manières de contrôler la vie afin de mieux gérer la force de travail. Cependant, afin de prendre la vie en charge et gouverner le corps politique et économique d’une société en voie d’industrialisation, le pouvoir doit développer de nouveaux processus. Le pouvoir en place doit exercer de moins en moins le droit de mort (pouvoir souverain) et de plus en plus le droit positif et productif d’intervenir afin de « faire vivre ». Foucault utilise le terme « biopouvoir » (2004a) pour désigner la nouvelle focalisation des États modernes sur la vie, à travers la subjugation des corps et le contrôle des populations (ex. la régulation des coutumes, des habitudes de vie, des pratiques reproductives, de la famille, de l’hygiène, du bien-être, de la santé). L’hypothèse de Foucault sur le biopouvoir contraste avec celle d’Agamben (1993), qui retourne au terrain volontairement délaissé par Foucault, celui de la souveraineté. Pour Foucault, le biopouvoir implique clairement une redéfinition du pouvoir permettant de le saisir en dehors du terrain de la souveraineté et à l’intérieur des interstices où il demeurait jusqu’alors non décelé. Mais Agamben transpose le biopouvoir dans l’architecture de la souveraineté et le lie à une « vie nue » (1993 : 100), c’est-à-dire une vie privée des droits pouvant être impunément abolis. Agamben invoque le biopouvoir pour repenser l’espace politique dans son entièreté, dont le fonctionnement imiterait celui du « camp » : un espace créé quand l’État d’exception devient la règle, un espace où les détenus sont placés en dehors de la loi et réduits à une vie nue. Très tôt, Agamben (1993) a écrit des ouvrages sur les camps de concentration de la Deuxième Guerre Mondiale et plus récemment, il citait la baie de Guantanamo comme exemple de « l’État d’exception » (Agamben, 2005). Agamben tire de ses observations la conclusion que les États modernes suspendent de plus en plus souvent leurs principes démocratiques afin que la règle de la loi soit régulièrement supplantée par l’État d’exception et que les gens soient de plus en plus sujets à la violence étatique. Les conceptions de Foucault et d’Agamben sur le biopolitique sont toutes deux très utiles. Toutefois, Agamben nous informe de mécanismes politiques spécifiques qui ne représentent pas l’entièreté de l’espace politique. La notion foucaldienne est plus pertinente à cet égard et nous permet d’explorer les phénomènes reliés aux régulations du poids et de la santé.

[2] Pour Foucault, la discipline et les contrôles de régulation constituent les deux pôles autour desquels gravitent les États modernes pour favoriser la vie de la population. Alors qu’il considère la discipline comme une « anatomo-politique » (1984) s’appliquant principalement aux individus, il utilise le terme « biopolitique » (2004b) pour parler des contrôles de régulation, qui s’appliquent principalement aux populations. Le concept foucaldien de biopolitique est lié de très près à celui de biopouvoir et annonce l’expansion du pouvoir étatique au-delà de ses frontières traditionnelles et des modes normatifs de domination pour atteindre tous les aspects de la vie (bio est la racine grecque du mot « vie »). La biopolitique, donc, renvoie à un type de gouvernement qui régule les activités de la population par le biopouvoir. Le terme « biopolitique » a été utilisé par d’autres théoriciens avant et après Foucault et son interprétation n’est pas uniforme. Hardt et Negri (2004), par exemple, ont élargi les idées de Foucault en suggérant que les productions « immatérielles » (par exemple, les idées, la connaissance, les relations affectives, les formes de communication) sont aussi biopolitiques ; un tel développement théorique place l’information, la communication et les relations sociales au centre du politique. Ce développement est intéressant tant qu’il ne conteste pas l’assertion de Foucault à l’effet que la biopolitique porte moins sur la punition et la mort que sur la production de la vie. À l’opposé, Agamben (1993) conçoit la biopolitique comme l’administration de la « vie nue », avec comme représentation absolue le camp de concentration au sein duquel les individus sont dénués de tout, incluant leur droit à la vie. Malgré que les affirmations d’Agamben (à l’effet que le modèle du camp représente le mode biopolitique) soient pertinentes pour l’analyse de certains épisodes contemporains de plusieurs pays occidentaux, elles ne tiennent pas compte d’un point important : de nos jours, la menace de violence et de mort n’est qu’une forme de biopouvoir parmi tant d’autres.

[3]    J’emprunte ici à Julia Kristeva (1982 : 1-2) la notion d’abjection et de l’espace qu’habitent les personnes ou les choses considérées abjectes. Mon usage de cette notion d’abjection suggère que nous sommes tous à la fois fascinés et repoussés par les corps gros, et particulièrement par les corps extrêmement gros. Nous éprouvons du dégoût face à quelque chose qui est habituellement exclu de notre monde culturel, quelque chose qui symbolise la maladie, l’immoralité, la gloutonnerie, la paresse, l’échec, la perte de contrôle, le danger, la déchéance. Faire face à un corps très gros, c’est faire face à la réalité que nous sommes tous à risque de devenir gros. Le corps gros est vu comme un corps abject ; il inspire la peur et l’anxiété car il est un site d’identification abject, un réceptacle pour tout ce que nous détestons en nous-mêmes. Tel que Kristeva le suggère, l’abjection est toujours imposée à la partie de nous-mêmes que nous excluons.

[4] J’entends par reconstruction néolibérale le processus par lequel de grandes entreprises ont renforcé leur plate-forme politique et leur rôle dans le « réajustement » radical des États modernes. Alors que l’État keynésien a été conçu afin de protéger les populations de l’impact négatif causé par les capitaux étrangers et les forces externes, le pouvoir d’État, dans les faits, se concentre de plus en plus dans des organismes étroitement liés à l’économie mondiale. Les organisations gouvernementales qui s’occupent des besoins de la population sont maintenant de second ordre. La restructuration signifie que le premier objectif de l’État est dorénavant d’établir les conditions favorables à la compétitivité et à la capacité d’investir des multinationales. Les frontières entre la gouvernance nationale et la gouvernance d’entreprise sont aujourd’hui floues, alors que nous assistons à la colonisation des programmes politiques par les entreprises. Comme Giroux l’a adroitement démontré, le résultat d’un tel développement néolibéral est que l’État ne prend plus ses responsabilités sociales et les refile plutôt à l’individu : « Les politiques publiques et privées visant à investir dans le bien public sont rejetées car considérées comme une mauvaise affaire. L’idée de protéger les gens des terribles malchances que sont la pauvreté, la maladie ou encore comme les coups aléatoires du destin est vu comme un acte de mauvaise foi » (2007 : 308).

[5]      Pour une analyse approfondie des discours bioculturels et des processus de biomédicalisation et de bioéconomie, voir Rail, Murray et Holmes (2010).

 

labrys, études féministes/ estudos feministas
janvier/ juin / 2014  -janeiro/junho 2014