Selon Fossey, les montagnes Virunga ( composées de huit
volcans dont deux en activité) sont le seul
lieu au monde qui abrite les gorilles de montagne (7). Ce territoire s´étend
sur trois pays : le Parc National des Birunga au Zaire, le Parc
National des Volcans au Rwanda et Kigezi Gorilla Sanctuary, em Ouganda.
Dian fit ses recherches sur le côté rwandais
et décrit ainsi son travail:
“ Les recherches que j´ai effectuées sur le gorille, ce
grand singe de l´ordre des primates, d ´une grande douceur mais qui, à
l´occasion, peut devenir vindicatif, concernent particulièrement
l´organisation sociale et familiale. Elles ont permis de découvrir
certains modèles de comportement jusqu´alors inconnus.” (7)
Pour cela, elle développa des méthodes personnelles,
en imitant le comportement, les bruits et les
mœurs des primates, ce qui lui permit
de se mêler aux groupes familiaux, d´avoir un contact étroit avec eux et
même de jouer avec leurs bébés. Les gorilles
la connaissaient, ne la
fuyaient pas, ni même la menaçaient. En
fait, ils n´intimident que l´inconnu qui pourrait
menacer leur groupe familial.
On peut dire, sans se tromper, que c´est grâce à Dian
Fossey que les gorilles de montagne existent encore et qu´aujourd’hui
leur population s´accroît. Malheureusement,
c´est la raison pour laquelle elle a été
assassinée.
Dian s´est
fait connaitre du grand public grâce au
reportage du National Geographic paru en 1968, avec des photos de Bob
Campell, qui montraient Dian au milieu des gorilles.3
Évidemment, le film qui porte le même titre que
son livre, fut un vigoureux moyen d´inspiration pour
d´autres chercheures/urs qui aspiraient à
continuer son travail. De nos jours, le centre Dian Fossey compte plus
de 100 personnes qui y travaillent, entre chercheures, administrateures,
guides, gardes.
Les gorilles dans la brume*
Lorsqu´on pense à la jungle
africaine, on imagine
la chaleur, l´humidité, la moiteur. La forêt de Dian Fossey, cependant,
était tout à fait différente : le froid des montagnes, la fraîcheur de
la pluie, la brume enveloppante.
Son premier voyage en
Afrique en 1963 fut décisif pour que sa
destiné change de cap. Elle se rendit d´abord
en Tanzanie où elle rencontra
Mary et Louis Leakey, qui s´avéra être une
rencontre heureuse puisque Louis réussit à ce qu´elle reçoive un
financement pour ses futures recherches.
Dian partit alors au Congo, avec des guides et
des porteurs. Pendant cinq heures, avec une cheville à peine guérie
d´une foulure, Dian a grimpé les 3.141 m pour arriver à l´endroit où le
pionnier George Schaller avait fait 450 heures d´observation des
gorilles. (12) C´est alors qu´elle
fit la rencontre des
photographes Joan et Alain Root, qui
vont par la suite beaucoup
l´aider, principalement en lui
présentant Sanwekwe, le guide qui allait l´accompagner
plus tard et lui apprendre
à suivre les traces des gorilles.
Avec eux, elle
fit sa première rencontre avec les gorilles et
en fut captivée pour toujours.
« Je n´oublierai jamais ma
première rencontre avec les gorilles. J´entendis, je sentis avant de
voir : le bruit d´abord, puis une puissante odeur musquée, une odeur de
basse-cour, en même temps, une odeur presque humaine. L´air retentit
soudain de cris perçants suivis d´un bruit de battements rythmés.
C´était un énorme gorille mâle à dos argenté, caché derrière un rideau
de végétation impénétrable, qui se frappait la poitrine. […] Nous nous
arrêtâmes à une distance de cinq mètres environ. A travers le feuillage
nous aperçûmes une panoplie de faces noires au cuir tanné qui nous
fixait d´un air furieux et inquisiteur. [...]Je fus captivée
au cours de cette première rencontre, par leur personnalité et la
timidité de leur comportement. Je quittai Kabara avec regret, mais
convaincue qu´un jour ou l´autre je reviendrais pour en apprendre
davantage sur les gorilles de la montagne perdus dans les brumes ».
(13-14)
famille
la maman
En 1966 Dian était de
retour, avec un financement du Dr. Leaky et de
Leighton Wilkie, qui sponsorisait déjà les recherches de Jane Goodall
sur les chimpanzés. (14-15) Par chance, Dian a
rencontré les Root à l´aéroport, et Joan fut sa conseillère pour
acquérir son matériel, tentes, éclairage, réchaud, literie, etc. (15)
Le Dr.
Leaky lui a acheté une vieille Land Rover, devenue sa
nouvelle compagne et qu´elle appela
Lily. Et c´était parti pour 1.000 km du Kenya au Congo. Dian a compté
avec sa précieuse aide pour démêler les tracas administratifs afin
d´obtenir un permis pour travailler à Kabara, dans le Parc des Birunga.
« Alan Root, qui
entretenait de sérieux doutes sur ma santé mentale et celle du
Dr. Leaky, décida finalement de m´accompagner
avec sa Land Rover jusqu´au Congo. » (16)
Sa présence et son
assistance furent essentielles lors de son
installation à Kabara. Mais deux jours après il repartait et
Dian se retrouvait seule. Il ne faut pas
oublier qu´elle ne parlait pas la langue du pays, et au début se
communiquait par gestes avec ses aides.
« C´était mon dernier lien
avec la civilisation, telle que je la connaissais du moins, et la seule
personne dans ces montagnes qui parlait ma langue. Je m´accrochai au
poteau de ma tente pour m´empêcher de courir derrière lui. » (17)
Des éléphants lui rendirent
visite au quatrième jour, et revinrent souvent...adieu donc, les beaux
rêves de jardin potager. (18) Il y avait plein d´animaux dans ces
forêts, à cette époque là. Dian, dès le début, passait la plus grande
partie de son temps en forêt, des marches parfois épuisantes, de plus de
20 km, en montée. Sa vie était bien remplie :
« Je rencontrais presque
chaque jour des éléphants, des buffles, des cochons sauvages géants et
évidemment, des gorilles.Je notais soigneusement les détails concernant
le temps, les oiseaux, les plantes, le braconnage et, bien sûr, les
gorilles. Je fus bientôt submergée par les papiers. Je consacrais mes
soirées à taper à la machine et à classer ma documentation. » (18)
L´installation
Au début Dian avait une
tente et une installation précaire. Deux hommes étaient à son service et
plus tard arriva Sanwekwe, son guide et maître dans le dépistage des
animaux. Leur repas consistaient surtout de platées immense de patates
douces, haricots et maïs.
Dian faisaient son
approvisionnement une fois par mois ; 15 jours d´abondance et
ensuite, se serrer la ceinture et manger des
patates. Elle s´achetait surtout des conserves, du pain, du fromage, des
légumes frais (19) et avait une poule, Lucy et un coq Dezi, ses
compagnons, ses premiers animaux domestiques en Afrique. Plus tard elle
adoptera une chienne, Cindy.
Sa tente avait deux mètres
sur trois et « [...] me servait à la foi de chambre à coucher, de salle
de bains, de bureau et de séchoir pour mes vêtements perpétuellement
mouillés. » (19)
Des cageots faisaient office
de bureau, de chaises, d´étagères et de placards. Les repas étaient
préparés dans la cabane où logeaient les hommes, une vieille baraque
décatie en bois. Les journées étaient longues et les marches
épuisantes : pataugr dans la boue, se frayer un chemin à travers
les taillis, ramper sur les mains et les
genoux, monter plusieurs heures sur des pentes de 45 *, subir les
piqûres d´orties, etc. (23) La pluie, le froid, la brume étaient très
souvent au rendez vous. Elle avait toujours des gants, de hautes bottes,
jeans épais et veste chaude. Le poids du matériel, appareil de photo,
magnétophone, jumelles, thermos, rouleaux de pellicules, devenait
parfois insupportable.(23)
Avec Sanwekwe, Dian apprît à
dépister les traces laissées par différents animaux, dont les gorilles.
Elle réussit à identifier trois groupes sur les pentes du mont Milkeno.
Selon elle. ils vivent en groupes, qui varient autour d´une dixaine
d´individus, selon les naissances, les morts, les migrations des
individus vers d´autres groupes. (20) Les adultes, mâles et femelles
confondus pesaient chacun/une plus de cent kilos. Dian apprît à les
identifier par la forme du museau, spécifique à chaque animal. (21)
mâle à dos argenté
C´est au fur et à mesure de
son expérience qu´elle créa sa méthode d´approche :
« Observer les gorilles à
leur insu présentait l´intérêt de ne pas altérer leur comportement, mais
il y avait un inconvénient : les gorilles ne pouvaient s´habituer à ma
présence. Je réussis à vaincre peu a peu leur réticence en imitant
certaines de leurs activités. En me grattant et me nourrissant à leur
manière et en émettant des vocalisations manifestant le contentement. »
(21)
Elle a vite compris que la
station débout faisait peur au gorilles. Elle a donc adopté la position
à quatre pattes lorsqu´elle les approchait. De plus, elle a parié sur
leur curiosité qui les faisait grimper sur les arbres pour mieux la
voir. Les contacts furent donc lents mais productifs. (22)
Sa vie au campement était
dure, mais aussi pleine de surprises. Le comportement des gorilles était
fascinant : en une occasion, Dian eut beaucoup de mal pour monter sur un
arbre avec force soupirs et exclamations et telle fut sa surprise
lorsqu´elle vit les gorilles qui la regardaient, assis en rang.
« Il ne leur manquait plus
que des sachets de caramels ou des esquimaux. Ce fut mon premier public
et, certainement, le plus inattendu. » (22)
Mais ses jours au Congo
étaient comptés.
Une rébellion s´est produite
au Congo, (nouveau Zaïre) et un beau jour Dian s´est retrouvée escortée
par des soldats qui l´attendaient à son campement pour l’évacuer, ce qui
fut vite exécuté. Elle fut détenue dans un camp militaire sans
explications et dût payer 400 dollars pour légaliser sa Land Rover, qui
avait une plaque d´immatriculation de l`Ouganda. Pour payer cette somme,
elle fit croire aux militaires qu´il lui fallait aller en Ouganda
chercher son argent : l´appât du gain eut le dessus et ils décidèrent de
l´escorter jusqu´à là.
« La nuit précédant notre
départ je chargeai subrepticement Lily avec toutes mes affaires, mon
matériel de photo, Lucy et Dezi. […] Les hommes étaient déjà très
excités au moment du départ. » (25 )
Et ils se sont saoulés tout
au long du chemin ; à la frontière les palabres furent interminables.
Bref, elle réussit à passer la frontière et se cacher dans un hôtel à
Kisoro, le premier village sur le chemin ; le propriétaire, Water
Baumgartel s´occupa des papiers pour qu´elle puisse rester en Ouganda.
Malgré tout, Dian fut
interrogée pendant plusieurs jours. Finalement relachée, elle reçut
l´autorisation de partir à Nairobi et c´est là qu´elle
apprit qu´elle avait été déclarée morte. À
l´ambassade américaine on lui a dit que :
« […] il était hors de
question que je retourne au Rwanda car j´en serais immédiatement
expulsée et refoulée au Zaïre où j´était considérée 'prisonnier évadé' »
(26)
Impasse. Panique.
Le Dr.
Leakey, son sponsor, était là par chance et réussit enfin à optenir la
permission qu´elle puisse s´envoler pour le Rwanda, avec un nouvel
équipement. Apparemment, les choses arrivaient toujours à s´arranger...
« J´allais retrouver des
gorilles sur les pentes des monts Birunga. Je me sentais revivre. » (26)
De nouveau, il lui fallait
repartir à la recherche d´un endroit où s´installer et Dian dut monter
jusqu´à 3.600 m pour trouver le lieu adéquat. Les braconniers et les
troupeaux se concentraient plus bas. Et c´est à cette altitude qu´elle
eut la chance de redécouvrir le groupe de gorilles dont elle avait fait
connaissance à Kabara, cinq mois auparavant.
« Ce fut l´un des plus
merveilleux cadeaux de bienvenue que j´aie jamais reçu. Les gorilles me
reconnurent. » […] Plus de dix ans ont passé. Assise à ma table de
travail, je peux voir de la fenêtre ce même terrain que j´avais
découvert de mon poste d´observation ce jour-là, et mon cœur est
toujours rempli d´une joie aussi vive. Au cœur des volcans des Birunga,
parmi les gorilles, je me sens chez moi. » (27)
Dans son livre, Dian raconte
en détail la vie des gorilles, leurs réseaux familiaux, les naissances,
les morts, leur quotidien. Elle suivit la déambulation de 9 groupes,
dont elle connaissait chaque individu, leur
ayant donné à chacun un nom. (163-195)
Les groupes se formaient et
se désintégraient selon les migrations des femelles, les morts
naturelles ou les massacres opérés par les
braconniers.
Dian
a procédé à un recensement annuel (152) des gorilles ; son amie
qui l´a aidée depuis le début, Alyette deMunk et le photographe du
National Geographic Bob Campell (161), furent les premiers à travailler
avec elle pour cette tâche.
« Il fallait parcourir
chacun des six volcans, des cols aux sommets, explorer les pentes et les
ravins. » (152) explique-t-elle.
Quelques étudiants se
montrèrent efficaces dans l´accomplissement de cette tâche, mais
d´autres ne furent pas capables de supporter la dureté de la vie en
forêt : les marches épuisantes, l´immobilité de l´observation pendant
des heures, le froid, l´humidité, le manque de confort dans les bivouacs
journaliers. Elle eut 21 étudiants qui sont venus au camp pendant une
période de 11 ans, mais elle n´a gardé un bon souvenir que d´une petite
poignée d´entre eux. (154)
Pour elle, ces jours étaient
extraordinaires :
« En ce qui me concerne, je
garde un souvenir impérissable de cette expérience avec l ´aiguillon de
la recherche, l´émerveillement à la rencontre d´un nouveau groupe de
gorilles, l a sauvage beauté du paysage et le plaisir de se
faire un chez-soi avec pour tout bagage une
tente et ce que la nature, dans sa bonté nous fournissait. » (153)
Ré-installation : le centre de recherches Karisoka
Le Parc des Volcans au
Rwanda, où vivaient les gorilles fut amputé de 8 000 ha en 1969 pour
donner place aux plantations de pyrèthre , matière première dans la
fabrication d´insecticides. Sans protection efficace, l´action des
braconniers se développait. La pauvreté secondée par l´ignorance eut
pour résultat le ravage du paysage par le feu et des plantations, ainsi
que la tuerie in-discriminée des animaux. C´est ainsi qu´elle le raconte
:
« Sous le brouillard épais,
nous marchions à travers les champs de pyrethrum, au milieu d ´un
paysage dévasté par le déboisement. On pouvait voir, ça et là, quelques
troncs de magnifique Hagenia, seuls vestiges de ce qui avait été une
forêt luxuriante. Je ne retrouvais pas l´exaltation que j´avais
ressentie en escaladant la montagne pour aller à Kabara. J´avais l
´impression de marcher à travers une région saccagée par les
bombardements. » (31)
Pour arriver à la zone de
forêt du Parc, il fallait traverser un tunnel de lave, large de 2m et
long de 10m, utilisé par les éléphants, avant qu´ils soient décimés par
le braconnage. C´était comme un passage qui marquait la divisons entre
deux mondes : la terre dévastée par les hommes et le domaine d´une
épaisse forêt (32) qui avait des arbres de
plus de 2m de diamètre et de nombreuises
espèces propres à l´alimentation des gorilles.
C´est donc dans les hauteurs
que Dian s´installa, dans le froid et la brume des montagnes à plus de
3000 m : le 24 septembre 1967, à 16:30, le Centre de Recherches, qui
allait attirer l´attention du monde et recevoir des chercheurs et des
étudiants, était créé. (33)
Dian choisit, parmi les
porteurs, trois hommes qui voulurent bien rester avec elle dans le
campement et les tentes furent posées, une pour elle, une pour les
hommes, à une certaine distance. Plus tard, des cabanes en toit de tôle
seraient construites.
« Je connus parfois la
solitude des pionniers mais aussi des joies exaltantes. » (34)
Dian était seule avec des
hommes, leur communication était précaire et ils ne comprenaient pas
grand chose à ses objectifs ; afin d´obtenir
un rythme de travail, elle créa une routine sévère pour le quotidien des
activités et du campement. La lutte contre les braconniers, le dépistage
des groupes de gorilles ainsi que les travaux d´aménagement, la corvée
du bois, l´alimentation : c´était en fait, une vie très remplie. Elle
occupait ses nuits à organiser ses notes et les photos prises dans la
journée. (121)
Cette époque, dit-elle, fut
magique. Peu de contacts avec l´extérieur, un silence plein de mystères,
seulement les bruits de la forêt, la présence de toute sorte d´animaux
près du camp. D´ailleurs, la solitude n´était pas un problème pour Dian.
Elle trouva les premières années très productives, car son temps était
dédié presque entièrement à l´observation et à l´approche des gorilles.
Même avec un confort très précaire, les vêtements toujours humides et le
froid ambiant que seule une petite lampe à pétrole tentait
d´amenuiser. Le soir, on entendait taper à la
machine. (121)
« Quand je contemplais les
montagnes sauvages et désertes, je me sentais l´être le plus heureux du
monde » (121)
Dian resta un an et demi
logée dans sa tente, puis des amis sont venus
l´aider à construire une cabane avec une cheminée, des nattes tissées à
la main pour isoler les murs et le plancher, des bureaux, des étagères
et même des rideaux. Le luxe ! (122) Petit à petit, d´autres cabanes
poussèrent, neuf en tout, destinées aux employés, aux étudiants
et aux chercheurs éventuels. (127)
Elle
adopta une petite chienne, Cindy, qui
devint partie intégrante du camp
et aimée de tous. (122) Un jour elle fut
kidnappée : des bergers ou des braconniers ?
Dans le doute, Dian a retenu dans le camp quelques têtes de bétail -
sept vaches et un bœuf- (123)| pour avoir une
sorte de monnaie d´échange. Elle envoya des hommes dans la forêt, en
criant un message : pour chaque jour que Cindy ne serait pas retrouvée,
une vache serait tuée. Cette tactique a très bien marché puisque le
propriétaire des animaux – Muturutkwa- est vite venu la voir pour
communiquer qu´il avait découvert où était Cindy :
« Le matin j´« armai » mes
hommes et Muturutkwa de pétards et de masques d´Halloween pour
l´« Opération sauvetage » de Cindy. Dans le style des Marines, les trois
hommes prirent d´assaut l´ íkibooga, en lançant des pétards dans
le feu du camp et, profitant de la confusion, enlevèrent Cindy, pendant
que les braconniers prenaient la fuite. (124)
Muturutkwa devint son ami et
bientôt prit la place du chef des patrouilles anti-braconnage des
Birunga. Mais Dian fut très critiquée pour cette opération : on a
commencé à dire qu´elle avait l´habitude de voler et de tuer le bétail
des africains . Ce fut ce genre de distorsion qui créa une mauvaise
réputation pour Dian, ce qui arrangeait beaucoup de monde, notamment
ceux qui profitaient du massacre des animaux et
spécialement des gorilles.
Le camp était très souvent
visité par toute sorte d´animaux : des éléphants, de buffles, dont deux,
Ferdinand et Mzee, habitants permanents du Camp et des antilopes, qui en
fait y trouvaient refuge (127). Mzee avait l´habitude de venir chercher
des câlins, dès qu´il entendait la voix de Dian. (129)
Une petite antilope, Primus,
fit la gaîté du camp : orpheline, elle s´identifiait aux poules, à
Cindy, et ne frayait pas avec les autres
antilopes. Ses jeux, ses sauts, sa présence enchantaient les visiteurs
et les aides de Dian ; n´ayant jamais été chassée elle ne ressentait
aucune crainte. (127)
Une nouvelle compagne vint
également ajouter à la gaîté de la vie du camp : Kima, une petite
femelle de singe bleu.
Elle avait été capturée par
un braconnier qui l´a offerte à Dian lors d´une de ses visites au
village. Il voulait 30 dollars pour le contenu d´un panier dont Dian
s´est emparé tout de suite, voyant la petite boule noire plus morte que
vive au fond.
« Je me saisis vivement du
panier, mis la voiture en marche en menaçant le braconnier de poursuites
s´il capturait encore des animaux dans le Parc. Tandis que l´homme
prenait la fuite, je plongeai mon regard dans deux grands yeux bruns et
timides. C´est ainsi que commença une histoire d´amour qui devait durer
onze ans. » (125)
En fait Dian s´occupait de
tous les animaux qui lui tombait entre les mains. Ce
fut une fois une petite chienne, très blessée
par un piège qui lui avait entamé les chairs
jusqu´à l´os. Dian la soigna pendant trois mois et
par chance, lors de l´arrivée d´une équipe de l´ABC TV., elle fut
adoptée par Earl Hollinam, acteur membre de l´ONG « Actors and Others
for Animals ». Elle est partie pour Hollywood et est devenue une vraie
star. Ses cachets servirent à défendre la cause des animaux. (132)
« Je me mis à rêver à la
disparition du braconnage et au jour où les animaux pourraient enfin
faire confiance aux être humains » (128)
Elle pouvait toujours
rêver...
Il y avait des gardes
forestiers, certes, mais ils ne faisaient
strictement rien. Le parc était laissé à l´abandon, en proie à toutes
les invasions des prédateurs humains. Dian dut organiser ses propres
patrouilles en fournissant aux gardes un salaire, de la nourriture et
des uniformes pour essayer de les sortir de leur apathie. (103) Elle
prit donc en main la guerre contre le braconnage et commeça par détruire
les pièges qui assuraient une mort lente et douloureuse aux animaux qui
s´y prenaient, dont les gorilles qui, au hasard, en étaient victimes
également. (35, 38) Pris au poignet ou à la cheville, les gorilles
mouraient d´infection, em une lente agonie.
(38)
Il y avait aussi des
trappes, grands trous dont le fond étaient hérissé de piquets. Dian
tomba dans l´un de ces instruments de mort mais dont les
pics, par chance, étaient émoussés.(36) Elle
réussit à en sortir en creusant des marches sur le côté. « Ce fut la
seule fois de ma vie où je fus satisfaite de mesurer un mètre
quatre-vingts ». (37)
On trouvait aussi des nœuds
coulants sur la hauteur des baies sauvages qui prenaient les antilopes
au cou et les étranglaient petit à petit. Autre sorte de piège : une
barrière de troncs qui formait un couloir se rétrécissant au fur et à
mesure que l´animal arrivait au bord d´un précipice. Les chasseurs
attendaient en bas les animaux qui y tombaient. (37) Un autre dispositif
qui faisait tomber des troncs d´arbres si l´on touchait à un fil de fer
caché dans les feuilles a failli tuer un étudiant. (37)
Voilà les résultats :
On trouve des photos
impressionnantes des armes, des pièges, des corps éventrés, des têtes
coupées de toute sorte d´animaux, notamment des gorilles.
La lutte contre le
braconnage était perpétuelle. Celui-ci visait
surtout les antilopes. Dian a même appris à les libérer, tâche très
difficile car, blessé et apeuré, l´animal se débâtait et ruait. (39)
Lors d´une de ces libérations, quelques gorilles sont restés perchés sur
les arbres pour l´observer.
« Quand l´antilope fut
libérée et s´échappa d´un bond, les quatre gorilles se frappèrent
vigoureusement la poitrine et descendirent de leur perchoir. Leur sens
de l´observation, leur curiosité m´émerveillèrent, une fois de plus. »
(39)
Mais elle n´acceptaient pas
des « accommodements raisonnables » avec la présence des troupeaux dans
le Parc et sa « chasse aux chasseurs » était impitoyable. (43)
À une occasion, Dian a
capturé un jeune garçon, le fils du chef des braconniers, qu´elle emmena
sous sa tente, muni de
ses armes.
« Je voulais engager des
discussions avec son père et les autres chefs braconniers pour leur
demander de cesser leurs activités sur le flanc des montagnes.[...] Mon
captif passa deux jours très agréables au campement[...]J´échangeai
l´enfant contre la promesse que me fit Munyarukiko de ne plus chasser
sur les contreforts du mont Visoke. (36)
Cette tactique fut bien
comprise parce qu´il tint parole.
Dian raconte cet épisode en
toute innocence, mais qu´est-ce elle a donc fait ? » Les gens se sont
scandalisés, criant à la torture, disant qu´elle prenait des « attitudes
extrêmes et agressives », qu´elle utilisait des méthodes
« controversées », créant ainsi des « vérités » destinées, en somme, à
disqualifier son travail car, soi-disant, elle aimait plus les animaux
que les hommes.
4 Même sa position ferme face au laxisme des
autorités fut critiquée.
En fait, c´est la femme
qu´on critiquait, car pour un homme son attitude serait considérée
« virile », positive, affirmative.
Pour une femme,
malheureusement, les critiques et les attaques font partie de
l´aventure. Imaginez donc cette grande femme, qui impose ses règles,
défie l´autorité masculine, vit de façon indépendante, mène un travail
dont l´importance dépasse la compréhension locale, qui vit seule, sans
un compagnon attitré pour lui donner le sceau
de sa masculinité.
Dans un culture misogyne,
polygame, comme celle de la plupart des pays africains, où les femmes
n´avaient aucun droit, et n´ avaient pas encore relevé la tête, Dian
était vue par les natifs comme un être bizarre; en tant qu´étrangère on
lui accordait un certain respect, mais en fait, puisqu´elle bravait les
chasseurs, braconniers, éleveurs, gardes et autorités relapses, elle
vivait toujours dans un état de résistance.
Je ne vois en Dian qu´une
femme libre, accrochée à un rêve, amoureuse des animaux, de la forêt, de
la beauté de la nature, risquant sa vie continuellement pour eux.
Quotidien difficile et rude. Les contraintes étaient traitées,
cependant, à leur juste mesure ; sa joie de retrouver les gorilles et de
se mêler à eux n´en souffrait point.
En effet, les gros problèmes
venaient des hommes, des braconniers, des éleveurs, des planteurs de
pyrèthres qui envahissaient les forêts et
détruisaient la nature. Elle fut accusée maintes fois de ne pas
s´occuper des gens, de ne pas aimer les gens, seulement les animaux.
C´est le refrain qu´on entend toujours lorsqu´on veut protéger les
animaux, qui sont en fait aussi importants que
les humains et ont le même droit d´exister et de vivre en paix sur
terre. Mais ils n´ont pas de voix pour crier leur détresse. Et je me
demande : comment aimer ces gens qui tuent et détruisent de manières les
plus cruelles et in-discriminées ? Sont-ils
dignes de la moindre considération ? Quelle genre de pensée colonialiste
peut accepter n´importe quoi en tant que « culture » ?
Que ce soit des gorilles,
des tigres, des éléphants, des chiens ou chats, les antilopes, les ours,
ou tout autre animal, c´est la bigoterie ambiante qui s´attaque à leurs
protecteurs, au lieu de blâmer les agresseurs. On oblitère ainsi le rôle
des hommes dans le ravage et la destruction des ressources de la terre,
qu´elles soient animales, végétales ou hydriques. Protéger les animaux
est, à mon avis, aussi important que de protéger les femmes des
exactions masculines, ou protéger les enfants de la maltraitance ou bien
l´environnement des attaques insidieuses des
profiteurs, toujours à la recherche du gain, du profit quelles qu´en
soient les conséquences. Briser le silence qui entoure toutes ces
pratiques, est un devoir et une nécessité.
Dian n´avait à faire qu´à
des hommes, qui, à quelques exceptions près, la trouvaient gênante quant
à leurs intérêts ou leurs affaires. Elle s´est battue non seulement
contre l´ignorance et la méchanceté, mais aussi contre l´appât du gain :
qu´importe si les animaux sont en voie de disparition si je peux remplir
ma bourse, en les tuant et les offrant en pièces, comme ce fut le cas
pour les gorilles, leurs mains et leurs têtes vendues sur les marché.
Elle déplorait l´action des
autorités qui, en voulant capturer des gorilles pour les envoyer à des
zoos, tuaient plusieurs individus qui défendaient
leur famille. En s´insurgeant pour
défendre les gorilles et autres animaux de la forêt, Dian s´attirait
toutes les foudres de ceux qui s´intéressaient à leur exploitation, d´où
les calomnies et les reproches acerbes devant son refus de céder à
certains compromis. Intransigeante ? Oui, bien sûr, attitude à laquelle
on ne s´attend pas de la part d´une femme.
Dian a mis
quatre ans pour enrayer le braconnage et a
même eu des chasseurs infiltrés parmi ses aides. (42). Les braconniers
se vengeaient avec le sumu, la magie noire, ce qui effrayait ses
aides et limitait leur action. (40) Quant aux troupeaux, elle avait des
scrupules pour demander aux éleveurs de quitter la montagne, car c´était
une activité traditionnelle dans la zone des volcans.Cependant,
« Les parcs nationaux ont
été conçus pour protéger la flore et la faune. Cet objectif ne peut
souffrir de compromis. » (41)
Les tentatives de délimiter le Parc ont maintes fois échouées ou ont
détruit plus que conserver. Par exemple, en 1970 les arbres furent
brûlés sur une longueur de 4 km et 12m de largeur, afin de délimiter la
frontière entre le Zaire et le Rwanda, ce qui devait empêcher les
bracconiers et les chasseurs de passer la frontière selon un technicien
occidental qui travaillait à ce projet; (46)
Ahurie, Dian ironisa:
“ Je ne puis que lui
demander où il fallait s´adresser pour obtenir un visa afin que les
gorilles, les éléphants et les antilopes puissent rendre visite aux
membres de leur familles habitant de l´autre côté.” (46)
La défense acharnée que
Dian a déployée en faveur des gorilles et
autres animaux a ainsi créé les fameuses
« controverses » sur son activité. La question de fond est : une femme
ne doit pas s´opposer aux hommes, une femme ne doit pas s´irriter, une
femme ne doit pas mettre en question l´autorité, une femme ne doit pas
vivre sans homme, une femme ne doit pas commander, une femme ne doit pas
imposer ses règles. Et ainsi de suite...
Dian était appelée par les
africains Nyiramachabelli ,
soit « La veille femme qui vit sans homme dans la
montagne ». Les braconniers la
détestaient, les éleveurs ne l´aimaient pas, les autorités du Rwanda la
supportaient car elle assurait ce qu´il ne faisaient pas : la protection
du Parc des Volcans.
En fait, si l´on veut mettre
les points sur les ii, le patriarcat, ce système de domination des
femmes, s´impose aussi sur les animaux et sur la nature. L´intérêt, le
gain, le pouvoir, l´assujettissement sont les objectifs de ce système ;
le patriarcat, cependant, n´est pas une entité fantôme qui étend ses
griffes sur le monde. C´est, au contraire, une réalité créée et
maintenue par les hommes, par le masculin, ceux qui arborent un air de
supériorité de seigneurs du monde.
Femme, Dian se voit
confrontée à
la communauté masculine, cette fraternité qui assure et pardonne toutes
les exactions commises par ses membres, dont l´identification se fait
par la possession d´un pénis. C´est, en fait ce patriarcat qui va
reserrer ses filets pour aboutir à l´assassinat de Dian Fossey. On n´est
pas étonnées que son assassin n´ait jamais été retrouvé.
Les visiteurs
Au
début des année 1970, des étudiants sont venus au Centre, des
photographes, des prétendus assistants, des touristes, qui en fait, la
plus part du temps, lui causaient plus de problèmes que de satisfaction
ou d´aide. Elle avait parfois à se battre
contre certains d´entre eux, de vrais intrus, qui n´observaient pas les
règles d´approche des gorilles, une opération délicate, car ils sont
très féroces pour défendre leur famille. Ils suscitaient des disputes,
s´imposaient sans vergogne ; il y eut un professeur de biologie qui
alla jusqu´à mettre le feu dans les cabanes,
par pure négligence. (156) Des documents et des notes irremplaçables
furent ainsi perdus. Et jamais il ne s´est excusé.
Selon
Dian, les gorilles, em général, n´attaquent
pas les gens qu´ils connaissent et même des inconnus ne reçoivent qu´une
tape, à condition de ne pas courir. (60) Mais s´ils se sentent menacés
c´est une autre histoire.
Dian raconte
le cas suivant :
« […] un jeune touriste
essaya de prendre un enfant du groupe 5 dans ses bras, malgré les cris
d´alarme poussés par les gorilles. La mère et le mâle à dos argenté
chargèrent avant qu´il ait pu toucher le bébé. Le jeune garçon prit la
fuite. Instantanément, les parents gorilles furent sur son dos, le
mordant et mettant en pièces ses vêtements. Plusieurs mois après, je le
rencontrai à Ruhengeri. Il portait encore de profondes cicatrices sur
les bras et les jambes. » (61)
Par contre, elle tint à
distinguer Tim White et Ric Elliot (158)
du reste des visiteurs. Ils restèrent au
centre l´un et l´autre 10 mois. Ric était
vétérinaire et a beaucoup aidé en enseignant à
Dian et ses aides africains certains soins, à faire des autopsies sur
les gorilles morts et des recherches en parasitologie. (158)
Ian Redmont, un
Anglais, se révèla
aussi une aide précieuse.
« […] très aimé des
Africains. Le soir, il s´asseyait avec eux autour du feu et partageait
leur repas de maïs, de haricots et de patates. Il était chez lui dans la
forêt, ce qui est rare pour un Européen. Il participait aux patrouilles
anti-braconnage et aux opérations de recensement. Il parcourait très
facilement près de vingt kilomètres par jour et, quand il était trop
loin du camp, passait la nuit sous un Hagenia, couché sur la
mousse avec un poncho pour toute couverture. » (159)
Ian fut attaqué par un
braconnier avec une lance, dirigée sur sa poitrine, mais qu´il a
heureusement déviée de son poignet. Sa blessure a mal guéri, son poignet
est resté déformé. En fait, les braconniers n´hésitaient pas à
assassiner qui était sur leur chemin.
Ces trois visiteurs ont
laissé de très bons souvenirs et un vide après leur départ.
« Grâce à leurs efforts
inlassables, ils ont grandement contribué à la préservation active des
gorilles. Pour mon équipe et pour moi-même, ce sont les meilleurs amis
que nous avons jamais eus. »(160)
Dian remercia également,
dans son livre, ses aides africains, sans lesquels, dit-elle, Karisoka
n´aurait pas pu exister.
« Ils n´attendaient ni
louanges ni récompenses. La satisfaction du travail accompli leur
suffisait. » (160 »
Elle passait les fêtes de
Noël avec eux et leurs familles, aux sons de chants accompagnant des
danses qui s´inspiraient des événements de l´année. Dian les a tous
enregistrés. « Ces enregistrements restent parmi mes souvenirs les
plus précieux de Karisoka. » (161) dit-elle.
L´approche